PLAINTE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE
CIVILE
A Monsieur le Juge
d'Instruction,
Représentés par leurs conseils : Maître Luc Walleyn, avocat à 1030 Bruxelles, rue des Palais 154, Maître Michaël Verhaeghe, avocat à 3090 Overijse, Waversesteenweg 60 et Maître Chibli Mallat, avocat à Beyrouth (Liban)
Et élisant tous domicile chez Me Luc Walleyn, en son cabinet précité.
Se constituent partie civile contre MM. Ariel Sharon, Amos Yaron et autres responsables
israéliens et libanais des massacres, tueries, viols et disparitions de
populations civiles qui ont eu lieu à Beyrouth (Liban) du jeudi 16 au samedi 18
septembre 1982 dans la région des camps de Sabra et Chatila.
La présente plainte est introduite conformément à la loi du 16 juin 1993 (modifiée par la loi du 10 février 1999) relative à la répression des violations grave du droit international humanitaire du chef de :
- actes de génocide (article 1er, § 1er ),
- crimes contre l'humanité (article 1er, § 2)
- crimes portant atteinte aux personnes et aux biens protégés par les conventions de Genève signées à Genève du 12 août 1949 (article 1er, § 3)
La plainte est également fondée sur le droit coutumier international et sur le ius cogens par rapport aux mêmes crimes.
Par ces crimes, les requérants ont été personnellement blessés et/ou ont perdu des membres proches de leur famille ou des biens.
A. EN GENERAL.
En date du 6 juin 1982, l'armée israélienne a envahi le Liban, en réaction à une tentative d'assassinat de l'ambassadeur israélien ARGOV à Londres le 4 juin. La tentative d'assassinat avait été attribuée le jour-même par les services secrets israéliens à une organisation palestinienne dissidente, et l'action commanditée par le gouvernement irakien, alors soucieux de détourner l'attention de ses revers récents sur le front de la guerre Iran-Irak.[1] L'opération israélienne, préparée de longue date, est baptisée "paix en Galilée".
Initialement, le gouvernement israélien avait annoncé son intention de pénétrer sur 40 km dans le territoire libanais. Le commandement militaire, sous la direction du ministre de la défense, le général Ariel SHARON, a cependant décidé d’exécuter un projet plus ambitieux que M. Sharon avait préparé depuis plusieurs mois. Après avoir occupé le sud du pays, et y avoir détruit la résistance palestinienne et libanaise, tout en commettant déjà une série d'exactions contre la population civile[2] , les troupes israéliennes ont effectué une percée jusqu'à Beyrouth, encerclant à partir du 18 juin 1982 les forces armées de l'Organisation pour la Libération de la Palestine, retranchées dans la partie ouest de la ville.
L'offensive israélienne, et notamment les bombardements intensifs sur Beyrouth, auraient occasionné, selon des statistiques libanaises, 18.000 morts et 30.000 blessés, en très grande majorité des civils.
Après deux mois de combat, un cessez-le-feu a été négocié par l'intermédiaire de l'émissaire des Etats-Unis, Philippe HABIB. Il a été convenu que l'O.L.P. évacuerait Beyrouth, sous la supervision d'une force multinationale qui se déploierait dans la partie évacuée de la ville. Les Accords Habib envisageaient que Beyrouth-Ouest soit éventuellement investi par l'armée libanaise, et des garanties américaines étaient données au leadership palestinien pour la sécurité des civils dans les camps après leur départ.
L'évacuation de l'O.L.P. s'est terminée le 1er septembre 1982.
Le 10 septembre 1982, les forces multinationales ont quitté Beyrouth. Le lendemain, Monsieur Ariel SHARON annonçait que "deux mille terroristes" restaient encore dans les camps de réfugiés palestiniens autour de Beyrouth. Le mercredi 15 septembre, après l'assassinat la veille du président-élu Bachir GEMAYEL, l'armée israélienne occupait Beyrouth-ouest, “encerclant et bouclant“ les camps de Sabra et de Chatila, habités uniquement par une population civile palestinienne et libanaise, l'entièreté des résistants armés (plus de 14.000 personnes) ayant évacué Beyrouth et sa banlieue[3].
Historiens et journalistes s’accordent pour admettre que c'est probablement lors d’une rencontre entre A. SHARON et B. GEMAYEL à Bikfaya le 12 septembre, qu'un accord a été conclu pour autoriser les « Forces libanaises » à « nettoyer » ces camps palestiniens[4]. L'intention d'envoyer les forces phalangistes dans Beyrouth-ouest avait déjà été annoncée par Monsieur SHARON le 9 juillet 1982[5] et dans sa biographie, il confirme avoir négocié l’opération lors de la rencontre de Bikfaya.[6]
Selon les déclarations d'Ariel SHARON au Knesset (parlement israélien) en date du 22 septembre 1982, l'entrée des Phalangistes dans les camps de réfugiés de Beyrouth fut décidée le mercredi 15 septembre 1982 à 15h30[7]. Toujours selon le général SHARON, le commandant israélien avait reçu comme instruction : "Il est interdit aux forces de Tsahal[8] d'entrer dans les camps de réfugiés. Le ratissage et le nettoyage des camps seront effectués par les Phalanges ou l'armée libanaise[9]".
Dès l'aube du 15 septembre 1982, des chasseurs bombardiers israéliens ont commencé à survoler Beyrouth-ouest à basse altitude et les troupes israéliennes ont entamé leur entrée dans Beyrouth-ouest. A partir de 9h du matin, le général SHARON a été lui-même sur place pour diriger personnellement la poursuite de la percée israélienne, et s'est installé au quartier général de l’armée au carrefour de l'ambassade du Koweit, situé à la limite de Chatila. Du toit de cet immeuble de 6 étages, on pouvait parfaitement observer la ville et les camps de Sabra et Chatila.
Dès midi, les camps de Sabra et Chatila, qui forment en réalité une seule zone de camps de réfugiés au sud de Beyrouth-ouest, sont encerclés par des chars et par des soldats israéliens, qui installent tout autour des camps des points de contrôle permettant de surveiller les entrées et les sorties. Durant la fin de l'après-midi et la soirée, les camps sont bombardés au tir d'obus.
Le jeudi 16 septembre 1982, l'armée israélienne contrôle l'ensemble de Beyrouth-ouest. Dans un communiqué, le porte-parole militaire déclare "Tsahal contrôle tous les points stratégiques de Beyrouth. Les camps de réfugiés, incluant les concentrations de terroristes, sont encerclés et fermés". Au matin du 16 septembre, l'ordre 6 est donné par le haut commandement de l'armée: “Searching and mopping up of the camps will be done by the Phalangists/ Lebanese Army“[10]
Pendant la matinée, des obus sont tirés vers les camps depuis les hauteurs environnantes et des tireurs d'élite israéliens postés autour, tirent sur des personnes se trouvant dans les rues. Vers midi, le commandement militaire israélien donne aux milices phalangistes le feu vert pour l'entrée dans les camps de réfugiés. Peu après 17h, une unité d'environ 150 Phalangistes entre par le sud et le sud-ouest dans le camp de Chatila.
Lorsque le général Drori appelle par téléphone Ariel Sharon et lui annonce: “Nos amis avancent dans les camps. Nous avons coordonné leur entrée.” Ce dernier répond “Félicitations!, l’opération de nos amis est approuvée.”[11]
Pendant 40 heures, dans les camps « encerclées et
bouclés », les miliciens phalangistes vont violer, tuer, blesser un grand
nombre de civils non armés, en majorité des enfants, des femmes et des
vieillards. Ces actions sont accompagnées ou suivies de rafles systématiques,
avalisées ou renforcées par l'armée israélienne, résultant dans des dizaines de
disparitions.
Jusqu'au matin du samedi 18 septembre 1982, l'armée israélienne, qui savait parfaitement ce qui se passait dans les camps, et dont les dirigeants étaient en contact permanent avec les dirigeants des milices qui perpétraient le massacre, s'est non seulement abstenue de toute intervention, mais a fourni une aide directe en empêchant des civils de fuir les camps et en organisant un éclairage constant des camps durant la nuit, moyennant des fusées éclairantes, lancées par des hélicoptères et des mortiers.
Les chiffres des victimes varieront entre 700 (chiffre officiel israélien) et 3.500 (notamment l'enquête précitée du journaliste israélien KAPELIOUK). Le chiffre exact ne pourra jamais être déterminé parce que, outre environ 1.000 personnes qui ont été enterrées dans des fosses communes par le C.I.C.R. ou enterrées dans des cimetières de Beyrouth par des membres de leur famille, un grand nombre de cadavres ont été enterrés par les miliciens eux-mêmes, qui les ont ensevelis sous des immeubles qu'ils ont détruits avec des bulldozers. Par ailleurs, surtout les 17 et 18 septembre, des centaines de personnes avaient été emmenées vivantes dans des camions vers des destinations inconnues et ont disparu.
Depuis le massacre, les victimes et survivants des massacres n'ont bénéficié d'aucune instruction judiciaire, ni au Liban, ni en Israël, ni ailleurs. Sous la pression d'une manifestation de 400.000 participants, le parlement israélien (Knesset) a nommé une commission d'enquête sous la présidence de Monsieur Yitzhak KAHAN en septembre 1982. Malgré les limitations résultant tant du mandat de la Commission (un mandat politique et non judiciaire) que de son ignorance totale des voix et demandes des victimes, la Commission a conclu que “Le Ministre de la Défense était personnellement responsable“ des massacres.[12]
Sur l'insistance de la Commission, et des manifestations qui ont suivi son rapport, M. SHARON démissionnait de son poste de Ministre de la Défense, tout en gardant un poste au gouvernement comme ministre sans portefeuille. Il est à noter que la manifestation du mouvement "Paix Maintenant", qui a immédiatement précédé sa “démission“, avait donné lieu à une attaque à la grenade de ses partisans contre les manifestants, résultant dans la mort d'un jeune manifestant.[13]
Par ailleurs, plusieurs enquêtes non officielles et rapports basés
sur des témoignages surtout occidentaux, dont celle de MacBride et de la Nordic
Commission, ainsi que des rapports journalistiques et historiques fouillés, ont
réuni des informations précieuses. Ces textes, en tout ou en partie, sont joints
au dossier en annexe.[14]
Malgré l'évidence du “massacre criminel“,
qualification du Conseil de Sécurité, et la triste place des massacres de Sabra
et Chatila dans la mémoire collective de l'humanité au rang des grands crimes du
XXème siècle, le “responsable
personnel“ de ces massacres, ses acolytes, et les exécutants, n'ont jamais
été poursuivis en justice ou punis. Les journalistes israéliens Schiff et Yaari
avaient conclu, en 1984, leur chapitre sur le massacre par cette réflexion: “If there is a moral to the painful
episode of Sabra and Shatila, it has yet to be acknowledged.“[15] Cette réalité de l'impunité est tout aussi vraie aujourd'hui.
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a condamné le massacre par la résolution 521 (1982) du 19 septembre 1982. Cette condamnation a été suivie par une résolution de l'Assemblée Générale du 16 décembre 1982 qui a qualifié le massacre comme "acte de génocide".
B. EN PARTICULIER
B.1. Plaignants,
survivants de Sabra et Chatila :
Les plaignants déposent en annexe à la présente plainte une déclaration par rapport à leur souffrance personnelle. Les originaux sont en arabe; chaque déclaration est assortie d'une traduction en français. Ces déclarations sont très parlantes et convaincantes :
1. Samiha Abbas Hijazi :
" Le
jeudi, il y avait des bombardements lorsque les israéliens sont venus, puis les
bombardements se sont aggravés, nous sommes descendus à l'abri. (…) On a appris
vendredi qu'il y’avait eu un massacre. Je suis allée chez les voisins. J'ai vu
notre voisin Moustafa El Habarat blessé baignant dans son sang. Sa femme et ses
enfants étaient morts. On l'a porté à l’hôpital de Gaza et puis on s'est enfui.
Lorsque les choses se sont calmées, je suis revenue et pendant quatre jours,
j'ai recherché ma fille et son mari. J'ai passé quatre jours parmi les morts,
j'ai cherché parmi tous les morts. J’ai trouvée Zaynab morte, le visage brûlé.
Son mari était coupé en deux et sans tête. Je les ai emmenés et je les ai
enterrés. "
Madame Abbas Hijazi a perdu sa fille, son gendre,
la belle-mère de sa fille et d'autres proches.
2. Abd el Nasser Alameh :
" La
nuit du carnage, nous étions à la maison et nous avons entendu qu’il y’avait un
massacre à Chatila. (…) Nous avons gardé la ruelle toute la nuit, se relayant
pour dormir quelques heures, et ceci jusqu’au lever du jour, certains
réussissant à prendre la fuite alors. Je croyais que mon frère nous avait
devancés à Beyrouth Ouest . Nous l’avons attendu, mais il n’est pas venu. Et
c’est ainsi que mon frère a fait partie de ces personnes qu’ils ont emmenées, et
dont on a même plus retrouvé le corps. "
Monsieur Alameh a perdu son frère (qui avait 19
ans au moment des faits)
3. Ouadha Hassan el-Sabeq
" Nous
étions à la maison le vendredi 17 septembre, les voisins sont venus et ils ont
commencé à dire : Israel était entré; livrez-vous aux israéliens, ils
prendront les papiers et les tamponneront. Soudain, après être sortis nous
rendre aux israéliens, lorsque nous nous sommes livrés, les chars et les soldats
israéliens étaient là, nous avons été étonnés de constater qu’ils avaient avec
eux les Forces Libanaises. Ils ont pris les hommes et nous ont laissés, femmes
et enfants ensemble. Quand ils
m’ont pris les enfants et tous les hommes, ils nous ont dit: allez à la Cité
Sportive et ils nous y ont emmenés. Ils nous ont laissé là-bas jusqu’à sept
heures du soir, ensuite ils nous ont dit: allez à Fakhani et ne retournez pas à
la maison et ils ont commencé à nous lancer des obus et des balles.
Il y avait
des hommes arrêtés de côté, ils les ont pris et on n’a plus jamais su ce qui
était advenu d’eux. Jusqu’à aujourd’hui on ne sait rien à leur propos et ils
sont toujours portés disparus. "
Madame el-Sabecq a perdu deux fils (16 et 19 ans
au moment des faits), un frère et environ 15 parents.
4. Mahmoud Younes
"
J’avais 11 ans. Il faisait nuit et l’on entendait des bombardements et des tirs
de fusils. (…) Nous nous sommes
tous réfugiés dans la chambre à coucher et nous y sommes restés. Dès leur
arrivée, ils sont rentrés directement au salon, et ont tiré sur les photos
accrochées aux murs, surtout celle de mon frère mort en martyre le mois de
“septembre noir” . Ils ont saccagé le salon et ont proféré des injures et de
sales propos. Après avoir cherché sans nous trouver, ils sont montés sur le toit
et s’y sont postés toute la nuit. Nous avons passé cette nuit dans la terreur
terrés dans notre cachette, entendant les cris des gens, les déflagrations et les tirs, alors
qu'Israël lançait des obus éclaireurs jusqu’au lever du jour.
Le
lendemain matin ils se sont mis à scander “rends toi tu auras la vie sauve”. Mon
neveu avait 18 mois. Il avait faim et nous étions loin de la cuisine . Ma soeur
voulait le réduire au silence, et l’étouffait avec sa main qu’elle posait devant
sa bouche de peur qu’ils n'entendent. Son époux a alors décidé qu’il fallait se
rendre, ajoutant que le lot de chacun ne sera que le destin prévu par Dieu. Les femmes
sont sorties en premier, mes frères, mon père, mon beau frère et les autres
membres de la famille suivaient. Mon frère était malade. Dès qu’ils ont entendu
nos voix, ils ont tiré dans notre direction et sont directement rentrés à
l’intérieur de la maison. Ils nous ont demandé où nous étions la veille
lorsqu’ils sont rentrés et n’ont trouvé personne. Puis ils ont ordonné aux
femmes et aux enfants de sortir . Mon beau frère s’est alors mis à embrasser sa
petite fille en guise d’adieu. Un homme armé s’est avancé vers ma nièce , a
enroulé une corde autour de son cou et a menacé son père de l’étrangler s’il ne
la laissait pas. Ce dernier s’est exécuté et me l’a confiée. Ils ont voulu me
prendre mais ma mère leur a dit que j’étais une fille. Ils ont fait marcher ma
mère et les femmes jusqu’à la Cité Sportive. J’ai vu en marchant le mari de ma
tante, Abou Nayef tué à coups de hache à la tête près de sa maison. Les morts
étaient tous défigurés. Tout en portant ma nièce, j’ai buté sur un mort frappé à
la hache et je suis tombé. Ils ont su alors que j’étais un garçon, et l’un deux
m’a placé contre le mur et a voulu me tirer une balle dans la tête. Ma mère l’a
supplié et lui a embrassé les pieds pour qu’il me laisse partir. Il l’a
repoussée. Il a alors entendu le cliquetis de l'argent caché dans sa poitrine.
Il lui a demandé ce que cela voulait dire. A quoi elle a répondu qu’il pouvait
prendre tout l'argent mais qu’il devait me garder auprès d’elle. Et c’est ainsi
que nous avons continué notre chemin et sommes arrivés à la Cité Sportive. Les
bulldozers israéliens préparaient de grands fossés. On a dit qu’il fallait qu’on
descende tous ils voulaient nous enterrer vivants. Ma mère s’est mise à le
supplier, puis a demandé une gorgée d’eau avant de mourir.
A la
Cité Sportive, j’ai vu les militaires israéliens, ainsi que les chars, les
bulldozers et l’artillerie, tous israéliens, de même que nous avons vu des
groupes de Phalangistes réunis avec les israéliens.
La
Cité Sportive grouillait de femmes et d’enfants. Nous y sommes restés jusqu’au
coucher du soleil. Un israélien est alors venu et a dit: allez tous à la région
Cola, celui qui revient au camp mourra. Nous y sommes partis, pendant qu’ils
tiraient dans notre direction."
Monsieur Younes a perdu son père, trois frères, son oncle maternel, son cousin maternel, deux cousines paternelles et d'autres membres de sa famille.
5. Fadia Ali El Doukhi
"
Quand les bombardements ont commencé et que nous avons su qu’Israel encerclait
le camp, mon père nous a dit de fuir. On lui a demandé de venir avec nous, mais
il a refusé pour protéger la maison. Alors, on s’est enfuis en le laissant à la
maison. Plus tard, on a su qu’un massacre avait eu lieu. On a su que mon père
était mort et on a vu sa photo dans le journal. Son pied était amputé. Notre
voisine dans la maison de laquelle mon père s’était abrité nous a raconté
comment on l’a tué."
Madame El Doukhi, qui avait 11 ans au moment des
faits, a perdu son père.
6. Amina Hasan Mohsen
" On était à la maison le
jeudi lorsque les bombardements ont commencé. Je ne savais pas ce qui se passait
à l'extérieur. Lorsque les bombardements se sont intensifiés, j'ai esssayé de
sortir pour me sauver avec les enfants.
Lorsque nous sommes sortis, les morts étaient étendus de part et d'autre
de la rue. Mes enfants ont eu peur. Un israélien nous a dit de sortir. On a vu
ensuite une personne qui parlait le libanais. Lorsque nous sommes sortis sous le
couvert des israéliens, il s’est mis à nous crier dessus. A ce moment, j’ai
compté mes enfants et j’ai vu que Samir manquait, quand il a vu les morts par
terre, il a pris peur et s'est enfui. A ce moment, je n’ai pas eu la présence
d'esprit de partir à sa recherche car la région était assiégée et remplie de
forces armées israéliennes et libanaises. Nous nous sommes enfuis et lorsque le
massacre s’est terminé, j'ai recherché Samir mais les cadavres étaient tellement
défigurés que je n'ai pas pu le reconnaître. "
Madame Mohsen a perdu son fils de 16 ans.
7. Sana Mahmoud
Sersaoui
"
Nous habitions le coin Said à Sabra , et lorsque les bombardements ont commencé,
nous nous sommes réfugiés chez mes parents à Chatila. Cela s’est passé le
mercredi. Vers minuit, des femmes qui venaient du quartier ouest ont dit qu’ils
étaient en train de tuer. Nous nous sommes alors enfuis à nouveau, vers
l’intérieur du camp. Ensuite, quand le jour s’est levé nous avons été nous
cacher dans l’abri de la maison de repos. J’étais ce jour là enceinte, et
j’avais deux filles qui prenaient encore du lait. Nous sommes restés dans la
maison de repos deux jours, jusqu’à samedi. Nous n’avions plus de lait. Mon mari
est alors sorti en apporter pour les filles. Que la nuit était longue, les
Israéliens envoyaient des obus éclaireurs. C’est ainsi qu’il est parti à Sabra.
Les israéliens étaient alors arrivés jusqu’à l’hôpital de Gaza. Après, je suis
partie à sa recherche, et ma soeur à la recherche de son mari. Nous sommes
arrivées à la porte de Chatila. Là bas ils avaient placé les hommes d’un côté et
les femmes de l’autre. Je me suis mise à le chercher parmi les hommes. Je l’ai
vu et lui ai dit “tu sais, ce sont des Phalangistes”. Il m’a répondu “il va nous
arriver ce qui est arrivé à Tall el Zaatar”. Les hommes armés nous ont ordonnés
de marcher devant et les hommes derrière. Et c’est ainsi que nous avons marché
jusqu’à arriver à la tombe commune. Là bas, le bulldozer a commencé à creuser.
Il y avait parmi nous un homme portant une blouse blanche d’infirmier. Ils l’ont
appelé et l’ont criblé de balles devant tous. Les femmes se sont mises alors à
crier. Les israéliens postés devant l’ambassade kowétienne et devant la station
Al Rihab ont demandé par haut-parleurs que nous leur soyons livrés.
C’est
ainsi qu’on s’est retrouvé entre leurs mains. Ils nous ont pris à la Cité
Sportive, et les hommes devaient marcher en principe derrière nous. Mais les
voilà qui enlèvent aux hommes
leurs chemises pour leur bander les
yeux avec. Et c’est ainsi qu’Israël à la Cité Sportive soumettait les jeunes
gens à un interrogatoire, et que les Phalangistes lui ont livré 200 hommes. Et c'est comme ça que ni mon mari, ni
celui de ma soeur ne sont revenus."
Madame Sersaoui a perdu son mari, âgé de 30 ans,
et son gendre.
8. Nadima Youssef Said Naser
"
C'était le jeudi. Soudain la rue est devenue déserte. Ma mère est allée chez les
voisins. Les bombardements ont commencé.
A peu près 10 familles se sont regroupées dans la maison des voisins. Un
peu plus tard, une femme est venue
du quartier Irsan. Elle criait: ils ont tué la femme de Hassan. Elle portait ses
enfants en criant que c'était un massacre. J'ai porté une de mes filles
jumelles, elle avait un an, et je suis allée vers mon mari: ils disent qu'il y a
un massacre, j'ai dit, il a répondu, ne dis pas de bêtises. J'ai pris une de mes
filles et lui ai donné l'autre. Mais les bombardements se sont renforcés et nous
avons rejoint les voisins à l'abri. L'abri était plein de femmes, hommes et
enfants, une femme de Tall al-Zaatar pleurait en disant, c'est ce qui s'est
passé à Tall al-Zaatar.
Peu
après, je suis sortie de l'abri, j'ai vu les hommes
armés qui mettaient les hommes contre les murs. J'ai vu une voisine, ils
l’ont éventrée. Des femmes sont sorties de la maison d'en face, et une femme a
commencé à brandir son écharpe en disant, il faut que nous nous livrions. Soudain, j'ai entendu ma soeur qui
criait: ils l'ont égorgé. J'ai cru que mes parents avaient été tués. Je me suis
précipitée pour les voir en portant ma fille. Ils ont tué le mari de ma soeur
devant mes yeux. Je suis montée, je les ai vus tirant sur les hommes. Ils les
ont tous tués. Je me suis enfuie. Mon autre fille est restée avec son père. Les
gens armés sont partis en emmenant les hommes de l'abri. Il y avait parmi eux
mon mari. En entrant dans le camp, une femme libanaise est venue, qui avait vu
mon mari enlaçant ma fille. Elle a vu comment mon mari a été tué par un
phalangiste, par un coup de hache sur la tête. Ma fille était couverte de sang.
L’homme l'a donnée à la femme libanaise qui est rentrée au camp et l’a donnée à
des parents à moi. Moi, je me suis enfuie à l'hôpital Gaza. Quand ils sont
rentrés à l'hôpital, je me suis enfuie une seconde fois. "
Madame Said Naser a perdu son mari, son beau-père, trois neveux de son mari et cinq autres parents.
9. Mouina Ali Hussein
"
J'étais dans ma maison de Horch, J' étais enceinte de 4 mois et j'avais un fils
de 8 mois. On vivait tranquillement. On a entendu les avions israéliens
survolant la région de manière intense, le bruit des avions est devenu plus
fort, et des tirs ont commencé . J'ai pris mon fils et j'ai dit à mon mari, je
veux aller chez mes parents qui étaient au quartier ouest. Nous sommes donc
allés chez eux, et quand nous y étions, les tirs ont augmenté. On est restés
chez les voisins qui avaient une maison rez-de chaussée, avec deux étages. Quand
les bombardements ont augmenté, nous sommes restés vers l'intérieur. C'était à
six heures. Nous avons fermé la porte et sommes restés dedans. Il y avait
seulement des femmes et des enfants et des femmes, sauf mon mari et un jeune. On
a entendu des cris dehors, et les gens armés dire: ne tirez pas, frappez à la
hache, s'ils entendent des tirs ils s'enfuient. Une bombe a éclaté près de la
maison. Tout le monde s’est mis à crier. Ils nous ont entendus, et ont commencé à nous tirer dessus. Le jeune a
été tué en essayant d’éteindre la bougie. Nous avons crié fort, quand il est
mort devant nous. Ils ont continué à tirer, et quand ils nous ont entendus, ils
ont lancé une bombe. Une femme a été blessée, ainsi que ma mère. La chambre est
devenue une rivière de sang. Les soldats ont alors commencé à crier: sortez. Si
vous ne sortez pas, nous dynamitons la maison. Ils nous insultaient. Ma mère a
ouvert la porte, disant qu'elle voulait se sacrifier. Elle a vu dix hommes
armés. Elle a dit à l’un deux: ne nous tuez pas. Sortez tous, il a répondu,
mettez vous en rang. L'un après l'autre nous sommes sortis. Je suis restée avec
mon mari et mon autre fils. Nous sommes ensuite sortis. Ils ont dit à mon mari:
viens, toi. Il portait son fils, il me l'a donné. L'homme armé lui a dit: en
arrière. Mon mari a pensé qu'il voulait la carte d'identité. Pendant qu'il
reculait, ils l'ont mitraillé devant moi. Il n'a pas dit un mot, et il est
tombé. J'attendais mon tour. Ils m'ont insultée, j'ai suivi ma mère et ma soeur
à l'orphelinat, et nous nous sommes enfuies. Les enfants ont vécu tout seuls,
leur père n'avait pas de frères ou de proches parents. Ils n'avaient personne à
leurs côtés. D'autres orphelins trouvent un oncle, mes enfants n'ont que moi,
Dieu soit loué. Mon fils, même à son âge, il a tellement besoin d'avoir son père
avec lui pour l'aider, lui parler de ses problèmes. Quand on est enfant unique,
quel vide."
Madame Ali Hussein a perdu son mari et son
beau-frère.
10. Chaker Abd-el-Ghani
Natat
"
Nous étions le Samedi 18 Septembre, nous nous trouvions à la maison quand je
suis sorti inspecter la voiture dehors. C’est alors que j’ai vu des soldats que
j’ai pris pour des soldats de l’Armée Libanaise. Ils ont exigé de fouiller la
maison; la famille dormait, je les ai réveillés et nous sommes tous sortis de la
maison. Ils nous alors emmenés vers le camp de Chatila. Pendant que nous
marchions, nous avons croisé des personnes tuées et des cadavres et je me suis
alors rendu compte qu’il y avait un massacre. Ils nous ont conduits près de la
station Al-Rihab; ils voulaient nous emmener à l’ambassade du Koweit. C’est
alors que des voitures se sont arrêtées et ont embarqué des jeunes gens, rien
que des jeunes gens, parmi lesquels mon fils.
Quant
à nous, ils nous ont livrés aux Israéliens et les Israéliens nous ont emmenés à
la Cité Sportive où ils nous ont gardés.
C’est
ainsi qu’ils ont emmené certains, alors qu’ils en ont laissé d’autres. Mon fils
a été embarqué dans une voiture devant moi; je les ai vus l’emmener, j’ignore
tout de son sort à ce jour."
Le fils de monsieur Abd-el-Ghani Natat avait 22
ans au moment des faits.
11. Souad Srour Meri
"
Mercredi, après que Bachir [Gemayel] ait été tué, nous avons entendu les
hélicoptères israéliens planer au-dessus de la région à basse altitude et le
mercredi soir les israéliens ont commencé à lancer des bombes éclairantes qui
ont illuminé le camp comme s’il faisait jour. Quelques uns de mes amis sont
descendus à l’abri. Le jeudi soir, j’ai été avec mon frère Maher voir mes amis
et leur dire de venir dormir chez nous; en route, le chemin était plein de
cadavres. Je suis allée à l’abri et je n’ai trouvé personne, nous sommes alors
retournés. Soudain je vois notre voisin blessé, jeté par terre. Je lui demande
où sont les amis, il répond qu’ils ont pris les filles et me demande de l’aider
mais je n’ai pas pu le secourir et je suis rentrée tout de suite à la maison
avec mon frère. Immédiatement Maher a raconté à mon père qu’il y avait un
massacre. J’ai su par notre voisin qu’il y avait des phalangistes. Lorsque mon père l’a su, il a dit que
nous devions rester à la maison. Notre voisine se trouvait chez nous. Nous
sommes restés à la maison toute la nuit. Le vendredi matin mon frère Bassam et
notre voisine sont montés au toit pour voir ce qui se passait mais les
phalangistes les ont tout de suite repérés. Ils sont immédiatement redescendus à
la maison. Quelques instants plus tard, près de 13 hommes les ont suivis à la
maison, ils ont frappé à la porte. Mon père s’est enquis de leur identité, ils
ont répondu: israéliens. Nous nous sommes levés pour voir ce qu’ils voulaient,
ils ont dit: vous êtes toujours ici et ils ont demandé à mon père s’il avait
quelque chose. Il a dit qu’il avait de l’argent. Ils ont pris l’argent et ont
frappé mon père. Je leur ai demandé pourquoi frappez-vous un homme âgé ?
Ils m’ont alors frappée. Ils nous
ont alignés au salon et ils ont commencé à se consulter pour décider s’ils
allaient nous tuer. Ils nous ont
alors alignés contre le mur et nous ont fusillés. Ceux qui sont morts sont
morts, j’ai survécu avec ma mère.
Mes frères Maher et Ismail s’étaient cachés dans la salle de bain. Quand
ils sont sortis de la maison, j’ai commencé à appeler mes frères par leurs noms,
quand l’un d’eux répondait je savais qu’il n’était pas mort. Ma mère et ma sœur ont pu s’échapper de
la maison, mais moi j’en étais incapable. Quelques instants plus tard, alors que
je bougeais ils sont revenus, ils m’ont dit: tu es toujours vivante et ils ont
tiré de nouveau. J’ai fait semblant d’être morte. La nuit je me suis éveillée et
je suis restée jusqu’à samedi. Je me suis traînée en rampant jusqu’au milieu de
la chambre et j’ai recouvert les cadavres. Alors que je tendais ma main pour
prendre la cruche d’eau ils ont immédiatement tiré. Je n’ai senti qu’une balle à
la main et l’homme a commencé à proférer des injures. Le second est venu et m’a
frappée sur la tête avec le fusil, je me suis évanouie et j’ai perdu conscience
puis la parole. Je suis restée ainsi jusqu’à dimanche quand notre voisin est
venu et m’a secourue."
Madame el-Meri a perdu son père, trois frères (11,
6 et 3 ans) et deux sœurs (18 mois et 9 mois).
[12. Le douzième plaignant,
Monsieur Akram Ahmad Hussein n'était pas à Sabra et Chatila au moment des faits;
cfr. infra, partie B.3. de cette plainte]
13. Bahija Zrein
"
Nous étions à la maison et nous avons eu vent d’un massacre, mais nous n’y avons
pas cru. Dans la nuit, deux jeunes gens sont venus chez nous et nous ont dit
qu’il y avait un massacre dans le camp. Nous sommes alors sortis dehors pour
voir ce qui se passait. Nous avons alors vu les Forces Libanaises debout dehors;
ils nous ont appelés, il y avait beaucoup de monde et nous les avons pris pour
des Israéliens. Mais quand j’ai entendu leur accent libanais, j’ai fui, mais ils
m’ont poursuivie et nous ont arrêtés, jeunes gens, femmes et hommes. Tout cela
vers 5 heures du matin.
Ils
ont investi la région et ont emmené environ 18 jeunes gens, pendant qu’ils nous
cantonnaient, femmes, hommes et enfants dans le camp. J’ai vu mes frères et des
enfants parmi les hommes qu’ils avaient emmenés. Pendant que nous marchions,
nous avons vu les morts tués à la hache. Il y avait aussi les médecins de
l’hôpital Gaza. Ils les ont alignés et les ont abattus; puis ils se sont mis à
tirer sur nous et ils ont tué un grand nombre de personnes parmi lesquels 18
fils de voisins. Pendant qu’ils tiraient, tout le camp était encerclé par des
blindés israéliens et toutes les pelleteuses étaient israéliennes. Pendant ce
temps, une patrouille israélienne s’est présentée et nous a demandé de nous
rendre à la Cité Sportive. Les hommes y sont allés, alors que nous, les femmes,
avons été emmenées à l’ambassade du Koweit.
C’est
comme cela que nous les avons vu embarquer les jeunes gens dans les voitures.
Parmi ces jeunes gens, mon frère. Ils leur ont bandé les yeux, ils ont embarqué
mon frère. C’est ainsi qu’il a disparu et que je ne l’ai jamais
revu."
Le frère de madame Zrein avait 22 ans au moment
des faits.
14. Mohammed Ibrahim Faqih
"Ce
matin-là, ils avaient commencé les bombardements sur les approches des camps,
dont Chatila, et des fusillades nourries se faisaient entendre. Le bombardement
touchait les rues principales et nous ne savions pas quel en était le but.
C’était incroyable. Nous ne pouvions pas non plus nous déplacer d'un endroit à
un autre ni nous enfouir en raison des obus et des tirs de mitraillettes.
Nous
sommes restés à la maison et soudain un obus s'est abattu sur la maison de nos
voisins, des éclats ont atteint mon fils à la poitrine et à la jambe et nous
l'avons transporté à l'hôpital Akka. Mais ils ont refusé de l'admettre en raison
du grand nombre de blessés. Nous l'avons alors emmené à l'hôpital Gaza. Nous
sommes restés son frère et moi à l'hôpital près de lui, mais le bombardement
s'est intensifié sur les camps de Chatila et Sabra. Une femme est venue nous
dire qu'elle les a vus arriver; je me suis enfui mais j'ai vu comment ils sont
entrés et ont emmené tous les blessés et les malades. Je me suis donc enfui et
je suis revenu après trois heures. Ils avaient emmené plein de monde et il ne
restait que mon fils blessé. Je ne sais combien de personnes ils ont emmenées
vivantes.
Nous
avons ensuite transporté mon fils dans un hôpital de Hamra et le lendemain, j'ai
su qu'ils étaient venus à Sabra et qu'ils avaient emmené les filles. Et quand je
suis revenu, j'ai vu ma fille Fatima frappée à la hache, ainsi que ma petite
fille. J'ai remarqué qu'ils avaient creusé une fosse dans le sol et qu'ils les
avaient enterrées vivantes dans la fosse. Le nourrisson avait été égorgé. J'ai
vu aussi des gens tués et des femmes enceintes éventrées. Environ trente jeunes
hommes ont été massacrés près de notre maison, sans distinction entre Libanais
et Palestiniens. Ils n'ont épargné personne et ils ont tué tous ceux qu'ils ont
croisés. Dans la maison de notre voisin Ali Salim Fayad, ils ont tué sa femme et
ses enfants.
Qu'est
ce que je peux dire, qu'est ce je peux raconter mon Dieu ? Ils avaient démoli
les boutiques dans la rue de Sabra et avaient creusé de grandes fosses où ils
avaient enterré les victimes. J'ai vu environ 400 cadavres d'enfants. Ils ont
retourné la terre et les ont enterrés. Parmi les douze membres de la famille de
nos voisins, onze ont été tués, un seul a réchappé."
Les deux filles de Monsieur Faqih avaient 2,5 ans et 14 ans au moment des faits.
15. Mohammed Chawkat Abou Roudeina
"
J’étais à la maison avec mon père, ma mère et ma soeur. Quand les bombardements
ont commencé, nous avons été chez l’oncle de mon père. Là-bas les obus ont
repris, et nous sommes rentrés dans la chambre, les hommes restant au salon.
Nous sommes ensuite partis chez les voisins. Nous étions près de 25 personnes ou
plus. Un peu plus tard, nous avons entendu les cris d’une fille blessée au dos.
Des hommes armés se sont postés dans le quartier. Nous avons alors entendu des
tirs, des cris et des voix étranges. Aida, ma cousine, est montée au magasin et
a allumé la lumière. Un homme l'a engueulée et ils l’ont traînée par les
cheveux. Elle s’est mise à crier “aïe papa”, puis sa voix s’est tue. Son père a
voulu la suivre. Ils l’ont immédiatement tué. Et c’est ainsi qu’ils ont compris
que nous étions à la maison. Ils sont alors descendus par le toit et sont
rentrés à l’étage. Ils y ont tout cassé et saccagé et nous les entendions
s’interpeller entre eux : George, Tony… Et quand nous les entendions tout
casser, nos voix s’élevaient. C’est ainsi qu’ils ont su que nous étions un étage
en dessous. L’un d’eux est descendu et nous a vus. Il les a immédiatement
prévenus. Ils sont tous venus chez nous. Mon père était assis sur une chaise, et
dès qu’il les a vus, il m’a pris m'a embrassé, m’a mis du parfum et a dit à ma
mère prends bien soin des enfants. Le cousin de mon père a dit à sa femme les
enfants sont sous ta responsabilité.
Je
n’oublie pas. A ce jour, cette image reste gravée dans ma mémoire.
Ils
ont ordonné aux hommes de se placer contre le mur. Ils nous ont fait sortir
derrière eux dans la rue. Arrivé à la porte, j’ai levé les yeux vers le ciel
rouge, rouge tapissé d’obus éclaireurs. Arrivés au début de la ruelle, nous
avons entendu les tirs visant mon père et mon oncle, ainsi que des cris. Nous
avons marché quelques mètres encadrés par les gens armés. Ma cousine a vu son
père et s’est mise à crier. Et moi j’ai vu la voiture de mon père dans laquelle
ils étaient installés après l’avoir ouverte. Cette image aussi est gravée dans ma mémoire, car j’ai alors
demandé à ma mère ce qu’ils faisaient de la voiture de mon père, mais elle ne
m’a pas répondu. En marchant, nous voyions les morts.
Ils
nous ont conduits à la Cité Sportive, et nous ont placés là bas dans une salle
où se trouvaient une femme et ses enfants.
Ils y amenaient des gens. Ils prenaient les uns en voiture et tuaient les
autres. A ce moment-là, les chars israéliens étaient présents. Et soudain, une
mine datant du début de l’invasion israélienne a explosé. Ils ont pris la fuite,
et nous aussi."
Monsieur Abou Roudeina a perdu son père, sa sœur
(enceinte), son beau-frère et trois autres membres de sa famille.
16. Fady Abdel Qader El Sakka
"
Nous étions restés le vendredi à la maison en nous cachant, croyant que les
israéliens voulaient pénétrer dans le camp. Nous sommes restés toute la journée
de vendredi à la maison.
Le
samedi vers midi, alors que nous étions encore à la maison, nous avons vu les
israéliens arriver chez nous à la maison. Ils nous ont dit de sortir tous de
chez nous. J’étais un petit garçon de 6 ans à l’époque. Nous sommes sortis et
ils nous ont alors emmenés vers la rue du côté ouest. Mon père portait mon petit
frère; ils lui ont demandé de
confier l’enfant à ma grand-mère qui était aussi avec nous. Ils ont voulu
emmener mon père et mon oncle; alors, ma grand-mère leur a demandé où ils les
emmenaient. Quelqu’un lui a répondu qu’ils reviendraient bientôt. Pendant que
nous marchions sur la route, les morts jonchaient les rues et j’ai vu comment
ils traitaient les gens. Mon père et mon oncle ne sont plus réapparus depuis ce
jour où ils les ont emmenés."
Monsieur El Sakka a perdu son père et un de ses
oncles.
17. Adnan Ali al-Mekdad
« Aux alentours de
quinze heures, jeudi, après la mort de Bachir, Sharon a effectué des déplacements inquiétants. Des hommes
étrangers ont encerclé la région. Certains l'ont su et ont fui. Ma mère a vu les
hommes armés, leur a préparé le thé et leur a dit qu’elle était libanaise. Ils
lui ont dit qu’ils n’en voulaient qu’aux palestiniens; et qu’étant libanaise,
elle pouvait rester dans la région, personne ne l’importunerait, elle devait
seulement garder ses papiers d’identité sur elle lors de ses déplacements.
Et l’on s’est mis à la
recherche des membres de la famille, jusqu’à ce que je la vois accrochée à un
arbre. Puis on a entrepris alors de
ramasser les cadavres et de les enterrer ».
Monsieur Adnan Ali al-Mekdad a perdu son père, sa mère, et plus de quarante membres de sa famille.
18. Amale Hussein
« Le
mercredi, les avions israéliens se sont mis à planer au-dessus de la région et
les tirs et les bombardements ont commencé. Mes frères et sœurs ont eu peur.
Ceux qui avaient peur sont descendus dans l’abri à côté de notre maison. Un
groupe a donc dormi dans l’abri et l’autre à la maison. Les avions ont continué à planer. Il y
en avait de plus en plus. Mon
neveu, âgé de 3 mois, qui était avec ma sœur dans l’abri, a commencé à pleurer.
Il voulait manger. Elle est sortie
avec lui, accompagnée de 4 personnes et ils sont tous venus à la maison. Dès qu’elle est entrée, nous étions
alors jeudi, nous avons entendu des hurlements, les hurlements des enfants et
des femmes dans l’abri, qu’on voit à travers la fenêtre de notre salle de bain.
Tout de suite, les isreéliens et les phalangistes en armes ont envahi la région.
Personne ne pouvait sortir de la maison. On n’entendait que des cris d’enfants et de femmes. Ils
ont commencé à tuer les gens. Nous sommes restés à la maison, nous avons ouvert
les portes et nous sommes rentrés tous à la salle de bain avec mon petit neveu.
On lui avait bandé sa bouche de peur qu’ils n’entendent sa voix et qu’ils ne
viennent nous tuer. Nous sommes
restés dans la salle de bain, ils sont rentrés, ont fouillé la maison mais ne
nous ont pas trouvés. Nous entendions les cris et le massacre par la fenêtre de
la salle de bain. C’est comme ça que nous avons su qu’ils étaient entrés dans
l’abri et avaient pris tous ceux qui s’y trouvaient, y compris mes parents. Le samedi, nous nous sommes échappés
vers l’intérieur du camp. Par la suite ma mère est retournée voir mes frères
mais elle ne les a pas reconnus tellement ils étaient défigurés. Tout ce que
nous avons su c’est qu’ils les ont enterrés dans la tombe commune. Mon père a
éduqué l’enfant qui a survécu (le
neveu de mon père) qui l’appelle papa ».
Madame
Amal Hussein a perdu un frère, deux sœurs, et plusieurs autres parents.
19. Noufa Ahmad el-Khatib
« Deux jours avant le massacre, les israéliens sont rentrés chez nous dans la région. Ils sont venus, nous ont pris et nous ont alignés et ensuite ils nous ont libérés. Le lendemain ils se sont retirés et ont été dans un hôpital. Nous nous sommes enfuis et le lendemain j’ai appris qu’il y avait un massacre et le troisième jour on m’a raconté ce massacre. J’ai été à Chatila, j’ai vu les victimes et j’ai commencé à rechercher mes parents. J’ai vu ma mère morte, je l’ai vue et je l’ai reconnue, j’ai vu toutes les victimes, les tués et ceux qui étaient toujours contre les murs ».
Madame Noufa Ahmad el-Khatib a perdu sa mère, sa sœur, et plusieurs autres proches parents.
20. Ali Salim Fayad
« Nous étions à la
maison et nous avions du monde. Il y a avait une voiture en travers du chemin et
nous avons été pour la déplacer. En revenant des gens armés se tenaient devant
la maison, ce jeudi-là. Ils ont ordonné de séparer les hommes, les femmes et les
enfants. Ils ont aligné les hommes contre le mur ainsi que notre voisin
palestinien et sa famille et ils les ont fusillés. Les femmes et les enfants
étaient abattus dans la rue. Avant de tirer, ils demandaient les cartes
d'identité et les gardaient. Les Phalangistes fouillaient les maison et les
israéliens les protégeaient avec leurs chars et leurs bombes éclairantes. Quand
ils nous ont fusillés j'ai été touché au dos, à la cuisse et à la main. La nuit
était illuminée par les bombes éclairantes.
Je suis resté étendu par
terre. J'ai appelé plus tard quelqu'un qui passait et lui ai demandé d'appeler
une ambulance. Peu après ma fille est venue et m'a transporté à l'hôpital de
Akka.
Le lendemain les
phalangistes sont venus à l'hôpital et m'ont demandé de mon fils qui était dans
la chambre à côté. Il y avait des blessés palestiniens qu'ils ont emmenés. Je
les ai vus traîner un blessé de son lit et le frapper avec une hache sur la
tête. Il était jeune, ils l'ont tué ».
Monsieur Ali Salim Fayad a perdu sa femme, ses deux filles, son fils, sa belle-sœur.
21. Ahmad Ali el-Khatib
« C’était le jeudi entre cinq et six heures. Nous étions dans la région et il y a eu des fusillades. Un jeune homme de notre région a été blessé. Nous l’avons emmené à l’hôpital de Gaza. Pendant ce temps le massacre a eu lieu, nous avons alors essayé de retourner mais la route a été fermée, je suis resté trois jours en dehors de la maison ».
Monsieur Ahmad Ali el-Khatib a perdu son père, sa mère, quatre frères, trois sœurs, et sa grand-mère.
22. Nazek Abdel-Rahman al-Jammal
« Mon fils aîné est
parti faire démarrer la voiture pour que nous nous enfuyons, ils sont venus et
l’ont arrêté sur la place Sabra. Le second fils était parti chercher du pain et
de la nourriture, nous étions à la maison, les israéliens et les phalangistes
nous ont emmenés de la maison, et nous ont fait marcher en rang à Sabra. En
marchant, j’ai vu mon fils aîné marcher dans une file et mes sœurs ont aussi vu
mon autre fils. Ils nous ont fait marcher jusqu’à l’ambassade du Koweit, là bas
ils ont dit : les femmes à la maison. Il y a eu une explosion et les gens
ont couru, en rentrant j’ai vu les morts des deux côtés de la rue, des femmes et
des vieillards. Ils avaient miné les cadavres et les enfants étaient morts. Je
suis revenue à la maison et les enfants ne sont pas rentrés. J’ai passé quatre
jours à chercher les enfants, et mon frère a amené mon plus jeune fils tué, mon
aîné je l’ai vu dans la fosse mort ».
Madame Nazek Abdel-Rahman al-Jammal a perdu ses deux
fils, 22 et 20 ans.
B.2. Témoins , survivants
de Sabra et Chatila
Outre leur propres déclarations, les plaignants produisent une série de témoignages d’autres survivants du massacre.
1. Mohammed Raad
" Mercredi nous étions à la
maison attendant de la visite. J’ai été à Sabra, les routes étaient désertes.
Arrivé au café de Ali Hender, j’ai rencontré de jeunes hommes qui m’ont appelé
et demandé si je savais. J’ai dit non. Ils ont dit que les israéliens étaient
rentrés avec les Phalangistes et qu’ils détruisaient. Je suis rentré directement
à la maison, pris ma femme et nous sommes partis chez son frère. Nous lui avons
dit: “Abou Souheil, allons nous en d’ici”. Il a répondu: “Nous sommes libanais,
ils ne nous importuneront pas”. J’ai été chez un autre parent et lui ai dit:
laisse tes enfants et va-t-en. Il m’a traité de lâche. Nous nous sommes mis à
marcher ma femme et moi jusqu’arriver au pont de l’aéroport. Et là bas j’ai vu
les israéliens encerclant la région. Un militaire israélien m’a engueulé. Et les
israéliens se sont mis à me demander, d’où je venais et où je partais; puis ils
ont dit à mon épouse ainsi qu’à une autre femme qui passait de rester là où
elles étaient alors qu’ils m’ont ordonné de les suivre et de me mettre près du
mont. Mais moi j’ai été directement derrière Harat Horeik et nous nous sommes
enfuis à Ghobeireh.
Samedi je suis retourné voir
mes proches. Comment te raconter,
les gens étaient sur leurs dos, noirs. J’ai retrouvé mon beau-frère tué, frappé
à la tête avec une hache, nous avons retrouvé trente trois autres membres de la
famille tués."
2. Jamilé Mohammad Khalifé
" Le Jeudi vers 16 heures,
ils étaient au Horch, et nous savions qu’il y avait un massacre, mais nous
savions aussi que les Israéliens se trouvaient dans la Cité Sportive; on nous a
néanmoins demandé de ne rien faire.
Un peu plus tard, les
bombardements se sont intensifiés et nous avons pensé que ça se calmerait
bientôt.
Nous sommes allés nous
abriter chez nos voisins. En regardant vers la Cité, nous avons vu des centaines
d’éléments armés descendre de la Cité et en quelques instants, ils se sont
retrouvés devant la maison à l’intérieur de laquelle il y avait beaucoup de
monde. Nous nous sommes mis à crier en disant que les Israéliens nous avaient
attaqués. Quand ils se sont retrouvés devant la maison, ils se sont mis à nous
insulter, à nous blasphémer; alors
le fils des voisins leur a fermé la porte au nez et nous avons fui par une autre
porte pour aller nous cacher dans l’abri qui était plein de monde.
Les Israéliens et les
Phalangistes sont revenus un peu plus tard et nous ont demandé par haut-parleur
de nous rendre en nous promettant la vie sauve si nous sortions des abris. Nous
avons alors brandi un drapeau blanc et quand nous sommes sortis de l’abri, mon
père a dit que nous n’aurions pas la vie sauve et qu’ils allaient nous tuer. Je
lui ai dit de ne pas avoir peur et de venir avec nous. Ils nous ont alors tous
entraînés, femmes, enfants et hommes; mon père a essayé de s’enfuir, ils l'ont abattu devant ma mère et ma
petite soeur. Ils nous ont tous fait marcher; il y avait avec nous notre voisine
blessée, portant ses intestins et souffrant d’une hémorragie. Nous nous sommes
enfuies, elle et moi, à l’intérieur du camp de Chatila et de là nous nous sommes
réfugiées à l’hôpital Gaza. Quand ils sont arrivés à proximité de l’hôpital
Gaza, nous nous sommes à nouveau enfuies.
Quand le massacre s’est
terminé, nous sommes revenues et nous avons vu les cadavres et les morts parmi
lesquels le fils de nos voisins, Samir,
assassiné. Et sous les cadavres, ils avaient placé des bombes
piégées."
3. Chahira Abou
Roudeina
"Jeudi 15 septembre, après
le coucher du soleil, l’aviation israélienne a effectué des raids (fictifs) sur
nous. Ma maison se situait dans le quartier ouest du camp, et lorsque les
bombardements ont commencé à se rapprocher, nous sommes descendus, mon mari, mes
enfants et moi, chez mes parents qui habitaient à l’entrée du camp, pour savoir
où ils voulaient partir. Mais nous sommes tous restés chez mes parents, jusqu’à
dix-neuf heures, heure à laquelle, voyant que les bombardements continuaient de
se renforcer, ma soeur est sortie voir ce qui se passait à l’extérieur. Ils ont
immédiatement tiré sur elle. Elle a crié “papa” , et n’est pas revenue.
Entendant ce cri, mon père est sorti, l’a vue et a dit: la petite est morte.
Puis ils ont tiré sur lui, et il est tombé. Tout le camp était éclairé par les
obus lumineux , et personne de nous ne pouvait plus sortir. Nous sommes ainsi
restés cloîtrés jusqu’à deux heures du matin. Puis nous avons compris qu’il y
avait eu un massacre .
Les bruits des tueries et
les cris nous ont accompagnés jusqu’à l’aube. A cinq heures du matin, ils sont
descendus par le toit, et soudain nous les avons retrouvés sur les escaliers en
face de la porte de la chambre où nous étions. A peu près 15 hommes armés se
sont postés aux fenêtres, et quatre d’entre eux sont rentrés. Les petits ont
crié et pleuré, et nous autres les femmes avons joint nos cris aux leurs. Ils
ont placé les hommes contre le mur, mon mari, mon cousin paternel et mon frère et les ont criblés de
balles devant nous. Ils sont tombés. Ils nous ont fait sortir et nous ont à
notre tour placés contre le mur, voulant aussi nous cribler de balles. Mais ils
se sont disputés pour désigner la personne qui allait tirer en premier. Puis ils
nous ont pris à la Cité Sportive, et nous ont conduits dans une salle remplie de
femmes, d’hommes et d’enfants. Tout en gardant cette salle, ils aiguisaient
leurs haches et préparaient leurs pistolets. C'était vendredi, vers cinq heures
du matin. A midi, ils ont ramené des jeunes gens et des femmes de la maison de
repos, ainsi que des personnes de l’ambassade koweitienne. Il y avait au sein de
la Cité Sportive des mines datant du début de l’invasion israélienne. Une mine a
explosé. Des gens se sont alors enfuis et nous en avons fait partie.
Que dire ? Lorsque nous
étions dans la Cité Sportive, ce sont les Israéliens qui assuraient la
protection des phalangistes, et les chars israéliens y étaient postés. De même
ce sont les israéliens qui criaient dans les hauts parleurs “rendez vous, vous
aurez la vie sauve”.
4.
Hamad Mohammad Chamas
« Mercredi, quand
l’armée israélienne est arrivée avec ses chars dans la Cité Sportive, et qu’on a
su que les israéliens y étaient, j’y suis allé avec un ami, et nous leur
avons demandé ce qui se
passait.
Ils m’ont demandé si j’étais
un terroriste, j’ai répondu par la négative. Ils nous ont alors dit, restez à la
maison, il n'y a rien. Je suis rentré chez moi. C'était le 15 septembre.
Jeudi 16 septembre, je
parlais avec Abou Merhef et Abou Nabil, quand, soudain, nous entendons le bruit
des bombes qui tombent sur les maisons, et des cris de blessés. Nous avons alors
accouru pour aider les blessés, les conduisant aux hôpitaux de Acca et de Gaza.
Après, j’ai proposé à mon père de descendre à l’abri. Le bombardement allait en
augmentant, et nous sommes descendus à l’abri. Les enfants avaient soif. J’ai
été pour ramener de l’eau et des couvertures. Mon frère était alors absent
depuis 15 jours de la maison, car il était employé. Il est venu, et s'est mis
avec nous à la porte de l’abri. Et soudain, on voit les israéliens et les
phalangistes sur nous, proférant des injures et de sales propos. Ils nous ont
dit de sortir. Nous sommes sortis. Ils nous ont placés contre le mur et ont
désigné Abou Merhef, il avait dans sa poche 500 livres. Abou Merhef leur a dit
prenez 250 livres et laissez-moi 250, pour mes enfants. Quand ils l'ont entendu,
ils ont immédiatement tiré sur les hommes. J’ai été touché et fait semblant
d’être mort. Trois ou quatre autres sont tombés sur moi. Eux étaient morts: Abou
Hussein el Bourgi, Kassem el Bourgi et Abou Nabil et Ali Mehanna. Je me souviens
que ce dernier a survécu à ses blessures au moins une heure, quand il a repris
conscience, il s’est mis à appeler au secours et à demander si quelqu’un était
encore conscient ou en vie. Je lui ai répondu: moi. Il m'a dit: qui. J'ai dit:
Hamad. Il m’a dit: pitié Hamad, je suis blessé à l’estomac et à la main. Il m’a
dit, salue ma mère, ma soeur et tel et tel et dis-dire Ali les salue. Je lui ai
dit, comment sais-tu que je vais rester en vie ? Je lui ai dit: y a-t-il encore
quelqu'un de vivant près de toi. Il s'est assis, moi j’étais toujours allongé.
Un peu plus tard, ils sont revenus et ont dit à Ali: tu appelles encore ? Ils
l’ont insulté et lui ont donné un coup à la tête. Mais il s’est relevé et leur a
dit: c'est comme ça que vous nous traitez, fils de chiens, car on pensait qu'
ils ne devaient pas s’attaquer aux libanais. Ils se sont alors remis à la tâche. 5, 6
fois. Ils ont tiré, pour s'assurer que tous étaient morts. Ils ont pointé le
fusil sur ma cuisse et ont tiré. Et c’est ainsi qu’ils revenaient s’assurer que
tous étaient morts. Vers cinq heures du matin, j’ai essayé de me tirer de là où
j’étais. Il y avait un mur près de moi. J’ai traversé la route et entendu le
bruit des chars. Je suis alors
rentré me cacher dans la maison de Osman Houhou qui était détruite. Vers midi,
je suis passé entre la ruelle et la maison. Soudain j’entends un microphone
israélien dire: rends-tes armes, tu auras la vie sauve ainsi que ta famille.
J’ai essayé de gravir la
pente afin de me rendre comme ils disaient, quand j’y étais presque parvenu,
j’ai regardé et je les ai vu placer les hommes d’un côté et les femmes de
l’autre. Je les ai vus ensuite les fusiller. C’est la raison pour laquelle je
suis retourné me cacher dans la maison que j’avais quittée un peu plus tôt. J’y
suis resté jusqu’au soir. Ils étaient assis autour d’une table et buvaient de
l’alcool. Seul un mur me séparait d’eux. Le mur était fissuré, je voyais ce qui
se passait. Ils se disaient: ne laisse rien qui bouge.
Je suis ainsi resté endormi
dans la maison jusqu’à samedi matin, 10 heures. J’ai perdu espoir, et n’en
pouvant plus, j’ai décidé de sortir, même si je devais être tué. J’ai essayé de
retourner à notre maison, mais je l’ai retrouvée détruite. Je n’arrivais pas à
marcher à cause des morts qui jonchaient la route. Et chaque fois que ma main en
touchait un, c’est sa chair que je retrouvais entre les doigts.
J’ai vu Oum Bachir
assassinée avec ses 7 enfants. Elle était comme endormie avec ses sept enfants
autour. Je suis retourné de la maison et me suis assis avec les morts. La fille
Makdad est venue appeler le secours populaire, et c’est ainsi qu’ils m’ont pris
à l’hopital ».
5. Milaneh Boutros
« Nous étions à la
maison ce jeudi-là. Il y a eu des bombardements et nous sous sommes abrités.
L'endroit était bondé, femmes, enfants et hommes.
Peu après, un sudiste du
camp de Rachidiyyé je crois est venu emmener sa famille. Le frère de Mohammad
Chamas est venu aussi lui proposant de s'en aller. Mais Mohammad a refusé et
nous sommes restés dans l'abri. J'ai porté ma fille de deux ans et je suis
sortie. J'ai vu des gens armés et des soldats israéliens appeler les gens.
Je suis sortie la première, croyant qu'ils étaient là pour nous protéger. Je lui ai dit: vous êtes venu nous protéger. “Tais-toi”, et il a commencé à insulter et à invectiver. “Tais-toi Vous vous faites passer pour des libanais maintenant ?“ Je lui ai dit que j’étais de Zghorta et que mon mari était libanais. Ils nous ont emmenés. Je portais une de mes filles, la seconde me tenait la main et les autres enfants se cramponnaient à mes habits. Nous avons enjambé les cadavres. L'endroit était illuminé comme en plein jour par les bombes éclairantes. Arrivés à l'ambassade koweitienne, ils ont pris Ali, le neveu de mon mari et nous ont embarqués dans des camions. Nous nous sommes dirigés vers Dora puis vers Bickfaya. Là une femme se tenait sur la véranda et a dit: vous m'amenez des femmes je veux des hommes. Nous avions avec nous un petit garçon de 13 ans, Ali Zayyoun, tapi dans un coin du bus. Dès qu'ils l'ont vu, ils l'ont pris et l'ont tué. Puis ils nous ont emmenés à Ouzai. Le lendemain ils nous ont demandé de regagner nos maisons. Il y avait partout des patrouilles israéliennes et des barrages phalangistes Le sol était jonché de cadavres. A la porte de l'abri, j'ai vu mon mari, mon fils et d'autres personnes assassinées. Un autre cadavre avait été jeté sur celui de mon fils qui avait été tué par un coup de hache sur la tête ».
6. Najib Abd-el-Rahman Al-Khatib
« Avant d'entrer chez
nous, les Israéliens se sont mis à lancer des bombes éclairantes. Quand les
bombardements se sont rapprochés, mon père nous a emmenés à l'abri jusqu'à ce
que les bombardements se calment un peu.
Nous sommes allés à l'hôpital Akka où nous avons dormi une nuit. Mais vers 5 heures du matin, ils ont pénétré à l'hôpital et nous avons encore fui. Le samedi, je suis revenu à la maison récupérer quelques affaires. Que de morts j'ai vu tous par terre et j'ai vu les Israéliens et les Phalangistes passer à côté. Je suis revenu en arrière et je suis entré directement dans le jardin de notre maison, et c'est alors que j'ai vu mon père mort. Je suis allé à la maison, il y avait un bassin. Le bassin était rempli de têtes de gens. Je me suis enfui ».
Les plaignants produisent également des témoignages de survivants qui ont été actés par des journalistes, et des récits d’observateurs, notamment :
B.3. Autres plaignants
12. Akram Ahmad
Hussein
Monsieur Hussein était à Tripoli au moment des faits. Il a perdu toute sa famille : sa mère, cinq frères (17, 13, 12, 11 et 11 ans), et deux sœurs (10 et 9 ans).
*
II.
QUALIFICATION LEGALE DES
FAITS
A l’occasion du massacre de Sabra et de Chatila, le Conseil de Sécurité a adopté en date du 19 septembre 1982 une Résolution 521 (1982), qui notamment :
"Condamne le massacre
criminel de citoyens palestiniens à Beyrouth"
Le 16 décembre 1982, l'Assemblée Générale des Nations Unies a adopté, avec une majorité écrasante[16], la résolution suivante (37/123 D) :
"L'assemblée générale,
Rappelant sa résolution
95(I) du 11 décembre 1946.
Rappelant également sa
résolution 96 (I) du 11 décembre 1946, dans laquelle elle a notamment affirmé
que le génocide est un crime de droit des gens que le monde civilisé condamne et
pour lequel les auteurs principaux et leurs complices, qu'ils soient des
personnes privées, des fonctionnaires ou des hommes d'Etat, doivent être punis,
qu'ils agissent pour des raisons raciales, religieuses, politiques ou pour
d'autres motifs.
Se référant aux
dispositions de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, adoptée par l'Assemblée générale le 9 décembre 1948. Rappelant les
dispositions pertinentes de la Convention de Genève relative à la protection des
personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949.
Bouleversée par le massacre
massif de civils palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et de Chatila,
situés à Beyrouth.
Prenant acte de
l'indignation et de la condamnation universelles suscitées par le massacre.
Rappelant sa résolution
ES-7/9 du 24 septembre 1982.
1.
Condamne dans les termes les plus énergiques le massacre massif de civils
palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et de Chatila
2. Décide
que le massacre a été un acte de génocide."
Cette conclusion mérite
d'être approuvée. En effet,
l’art. 2 de la Convention du 9 décembre 1948 sur le génocide, approuvée par la
loi du 26 juin 1951[17], définit ainsi :
« …Le crime de génocide s’entend de
l’un des actes ci-après, commis dans
l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique,
racial ou religieux comme tel : 1° meurtre de membres du groupe; 2° atteinte grave à l’intégrité physique
ou mentale de membres du groupe… »
Le dossier démontre que l'attaque contre les réfugiés des quartiers Sabra et Chatila reposait sur une haine profonde, ethnique à l’égard des Palestiniens, à cause de leur origine nationale .
L'intention de leur nuire était clairement animée par le fait qu'ils étaient Palestiniens. Dans le livre du journaliste américain Thomas Friedman, qui était l'un des premiers témoins du massacre, ce dernier écrit:
“Afterward,
the Israeli soldier would claim they did not know what was happening in the
camps. They did not hear the screams and shouts of people being massacred. They
did not see wanton murder of innocents through their telescopic binoculars. Had
they seen, they would have stopped it immediately.
All
of this is true. The Israeli soldiers did not see innocent civilians being
massacred and they did not hear the screams of innocent children going to their
graves. What they saw was “terrorist infestation” being “mopped up” and
“terrorist nurses” scurrying about and “terrorist teenagers” trying to defend
them, and what they heard were “terrorist women” screaming. In the Israeli
psyche you don’t come to rescue of “terrorists”. There is no such thing as
“terrorists” being massacred.
Many
Israelis had so dehumanized the Palestinians in their own minds and had so
intimately equated the words “Palestinian”, “PLO”, and “terrorists” on their
radio and television for so long, actually referring to “terrorist tanks” and
terrorist hospitals”, and they simply lost track of the distinction between
Palestian fighters and Palestinian civilians, combatants and noncombatants. The
Kahan Commision, the Israeli government inquiry board that later investigated
the events in Sabra and Shatila, uncovered repeated instances within the first
hours of the massacre in which Israeli officers overheard Phalangists referring
to the killing of Palestinian civilians. Some Israeli officers even conveyed
this information to their superiors, but they did not respond. The most
egregious case was when, two hours after the operation began on Thursday
evening, the commander of the Israeli troops around Sabra and Shatila, Brigadier
General Amos Yaron, was informed by an intelligence officer that a Phalangist
militiaman within the camp had radioed the Phalangist officer responsible for
liaison with Israeli troops and told him that he was holding forty-five
Palestinians. He asked for orders on what to do with them. The liaison officer’s
reply was ”Do the will of God.” Even upon hearing such a report, Yaron did not
halt the operation.[18]”
Cette “démonisation“ collective des Palestiniens, ainsi que M.
Friedman la qualifie, se retrouve dans le livre autobiographique d' Ariel Sharon
intitulé Warrior: l'objectif de
l'attaque contre Sabra et Chatila était de "nettoyer Beyrouth-ouest de l’OLP".[19] Dans un autre passage du
même livre, M. Sharon explique l'objectif de l'invasion du Liban dans les termes
suivants : "Any effective approach (...)
would have to look not just at specific local targets but at the entire PLO military and political
infrastructure in Lebanon.
And this, whether we liked it or not, would
force us to take into account the entire Lebanese tangle."[20]
Elle correspond d'ailleurs à des propos célèbres proférés par le premier ministre israélien de l'époque, se référant aux Palestiniens comme des “two-legged animals“ et à ceux de Rafael Eitan, l'un des responsables du massacre identifiés par la Commission Kahan, qui aurait parlé des Palestiniens comme des “drugged cockroaches“.
Aussi de la part des exécutants du massacre, la haine envers les Palestiniens en tant que groupe national ressort clairement de plusieurs témoignages des plaignants et survivants. S'il est vrai qu'un grand nombre de libanais a également été tué, l'instigation ethnique se manifestait dans une soi-disant distinction entre Libanais et Palestiniens. Monsieur Adnan Ali Mekdad parle de l'entrevue de sa mère avec les tortionnaires dans ce sens: “ Ma mère a vu les hommes armés, leur a préparé le thé et leur a dit qu’elle était libanaise. Ils lui ont dit reste ici, ils ont dit qu’ils n’en voulaient qu’aux palestiniens; et qu’étant libanaise, elle pouvait rester dans la région, personne ne l’importunerait, elle devait seulement garder ses papiers d’identité sur elle lors de ses déplacements.“ Elle n'a pas survécu au massacre.
C'est aussi dans ce sens qu'il faut entendre le témoignage de Mohammed Ibrahim Faqih: “Environ trente jeunes hommes ont été massacrés près de notre maison, sans distinction entre Libanais et Palestiniens. Ils n'ont épargné personne et ils ont tué tous ceux qu'ils ont croisés. Dans la maison de notre voisin Ali Salim Fayad, ils ont tué sa femme et ses enfants.“
La haine des Palestiniens, en tant que groupe ethnique, tant du Commandement militaire israélien que des principaux exécutants phalangistes, explique le phénomène, rapporté par plusieurs journalistes, dont Thomas Friedman:
“The
Israelis had so demonized Sabra and Shatila as nests of Palestinian terrorism
and nothing more that they didn't even know that probably one quarter of the
Sabra and Shatila neighborhoods was inhabited by poor Lebanese Shiites who had
come to Beirut from the countryside… A picture in the As-Safir paper the day
after the massacre was exposed captured the blind tribal rage of the Phalangists
who tore through the camps. The picture, which occupied most of the top of the
front page, consisted of a single hand. The fingers of this hand were locked
around an identity card that could easily be read. The card belonged to Ilham
Dahir Mikdaad, age thirty-two. She was a Shiite woman whose entire family,
estimated to be forty individuals, was wiped out by the Phalangists. Her body
was found lying on the main street in Shatila, with a row of bullets running
across her breasts. It was clear what happened: she must have been holding up
her identity card to a Phalangist, trying to tell him that she was a Lebanese
Muslim, not a Palestinian, when he emptied his bullet clip into her
chest.”[21]
Ces conclusions sont soutenues par des propos notoires repris dans les grandes enquêtes et reportages de l'époque sur la dimension collective du massacre, hommes, femmes et enfants, et la vindicte particulière contre les femmes enceintes (par exemple les témoignages de Mohammed Ibrahim Faqih, et de Chawkat Abou Roudeina), et les bébés. De ces nombreux rapports et témoignages, nous retiendrons celui qui mentionne le bébé qui est piétiné à mort,[22] les propos du lieutenant Avi Grabowski, présent durant les massacres et qui est ignoré de ses supérieurs à qui il rapporte les massacres qu'il a vus,[23] et surtout, la confirmation de la connivence entre les mobiles des tueurs et ceux du Ministre de la Défense israélien:
“At one point,[24] Sharon began to stress the need to destroy
whatever was left of the PLO's infrastructure in West Beirut and to point out
the danger of letting terrorists remain free in the city: “I don't want a single one of them left
!“ is how he was quoted in one of the transcripts of the session.
“How
do you single them out ?“
Hobeika asked.
It
was an odd question for a high-ranking officer in a militia known for its talent
at ferreting out terrorists, and Sharon
decided to evade it. “I’m off to Bekfaya now”, was his reply. “We’ll discuss
that at a more restricted session”.
[25]
Sur cette note que les auteurs israéliens qualifient de “sinistre“, il faut finalement ajouter que, dans la jurisprudence du TPIY[26], "l'intention spécifique au crime de génocide n'a pas à être clairement exprimée. (...) elle peut être inférée d'un certain nombre d'éléments, tels la doctrine générale du projet politique (...) ou la répétition d'actes de destruction discriminatoires (ou) la perpétration d'actes portant atteinte au fondement du groupe"[27]. Dans l'affaire Akayesu, le tribunal avait conclu que "Cette intention peut se déduire d'un certain nombre d'éléments de fait, s'agissant du génocide, du crime contre l'humanité et des crimes de guerre, par exemple de leur caractère massif et/ou systématique ou encore de leur atrocité (...)“[28]
En conclusion, tous les éléments constitutifs du crime de génocide, tel que défini dans la Convention de 1948 et tel que repris dans le Statut de la CPI (article 6), et dans l’art. 1§1, de la loi du 16 juin 1993[29], sont réunis.
*
B. CRIMES CONTRE L’HUMANITE
B.1. Définition et
source(s) d'incrimination.
D'après le statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (C.P.I.), tel qu'approuvé par la loi du 25 mai 2000, il y a crime contre l'humanité quand certains actes[30] sont commis "dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque" (art.7.1.). L'article 7.2. précise qu'il faut entendre par 'attaque lancée contre une population civile' : "le comportement qui consiste à multiplier les actes visés (...) à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un Etat ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque.". Il ressort des travaux préparatoires du statut de la C.P.I. que la définition de l'article 7.1. ainsi que la précision de l'article 7.2. ont été conçues de façon très large[31].
La définition de l'article 7.1. été reprise dans l’art. 1, §2 de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, telle que modifiée par la loi du 10 février 1999.
Il importe de souligner que ces textes législatifs n'incriminent pas, dans le sens strict du terme, le crime contre l'humanité mais constituent plutôt la constatation de son existence et donc de son incrimination préexistante. Le statut de la CPI le précise en son article 10[32]. Le législateur belge l'a exprimé clairement lors des travaux préparatoires à la loi de 1999[33].
Encore une fois[34] a été clairement mis en évidence que le droit coutumier international et le ius cogens[35] sont les sources de l'incrimination du crime contre l'humanité. Plusieurs décisions judiciaires ont explicitement confirmé cette source d'incrimination[36], y compris le T.P.I.Y[37]. Particulièrement intéressant pour cette affaire sont, d'une part la décision de la Cour Suprême d'Israël dans l'affaire Eichmann, qui s'appuye explicitement sur "the Laws of Humanity" et "the dictates of public conscience"[38], et d'autre part l'ordonnance rendue par M. le Juge d'Instruction Vandermeersch dans l'affaire Pinochet, selon laquelle "il y a lieu de considérer qu'avant d'être codifié dans des traités ou des lois, le crime contre l'humanité est consacré par la coutume internationale et fait partie à ce titre du jus cogens international qui s'impose dans l'ordre juridique interne avec effet contraignant 'erga omnes'"[39].
Toute définition du crime contre l'humanité sera donc -par définition- toujours incomplète et inachevée. A cet égard, il faut savoir aussi que la définition du statut de la CPI (et, partant, de la loi belge), est déjà plus restrictive que la définition Nuremberg[40], qui reste toujours d'actualité comme source première de droit coutumier (comme appliqué dans les affaires Eichmann et Pinochet).
Toutefois, les faits dans cette affaire sont clairement des crimes contre l'humanité dans les sens des deux définitions (Nuremberg et C.P.I.). L’analyse suivante, effectuée à la lumière de la définition la plus stricte (CPI), le démontre à suffisance.
B.2. Premier et plus
important élément constitutif : une attaque contre une population civile.
Il n’est pas contestable que la population de Sabra et Chatila était une population civile. Si dans le passé, un nombre restreint de résistants armés avait séjourné dans ces camps, ces groupes avaient été évacués quelques jours avant, conformément aux accords « Habib ». Si des rapports israéliens font mention d’actes de résistance isolés, il s’agissait de toute évidence d’une résistance légitime de la part de civils, sans que cela n’altère le caractère civil de la population concernée. Selon la jurisprudence du TPIY, même la présence d'une minorité de personnes armées dans un groupe qui consiste essentiellement de civils, ne modifie nullement le caractère civil du groupe en tant que tel[41]. Cette jurisprudence est conforme aux commentaires du CICR sur le Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), du 8 juin 1977[42].
Le concept de la protection de la vie et de l'intégrité des civils -dans sa concrétisation 'humaine'- est essentiel : il est basé sur l'expérience empirique et dramatique de l'histoire, comme l'exprime très bien le préambule du statut de la CPI : "Ayant à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine.". Toute attaque qui vise des civils en tant que tels, est éminemment grave.
La présence exclusive de civils est confirmée par l’ensemble des
témoignages et rapports. Le plus brutal est celui rapporté par l’officier (qui
n’est pas nommé) des services de renseignements, au soir du premier jour, le
jeudi 16 septembre, à 20h 40 :« There are evidently no terrorists in
the camp »[43]
Non seulement donc n’y avait-il que des civils dans les camps, mais le commandement israélien le savait depuis le premier jour.
Comme déjà indiqué plus haut, l'article 7.2. du statut de la CPI précise la notion d'une attaque contre une population civile en y ajoutant deux sous-critères additionnels :
B.2.1. Premier
sous-critère : commission multiple des crimes
Le premier sous-critère se réfère au nombre de crimes (commission multiple). La doctrine classique exigeant que le crime soit commis de façon massive, ne doit pas nécessairement être comprise dans un sens purement statistique. Il n'y a pas de critères abstraits, chiffrés pour peser ce critère[44]. De plus, comme il a été dit plus haut, le caractère massif n'a pas été retenu comme élément dans la définition dans le statut de la CPI et donc pas non plus dans la loi belge du 10 février 1999. Au contraire, une proposition d'inclure comme condition que le crime contre l'humanité doit être "perpétré sur une grande échelle" a été clairement rejetée[45].
En tout état de cause, de multiples meurtres, viols et autres crimes visées par la définition précitée ont été commis à Sabra et Chatila entre les 16 et 18 septembre. La longue liste des plaignants et des témoins, qui constituent seulement une partie des survivants des massacres, en est une preuve évidente.
Les références aux viols sont particulièrement systématiques. Le viol et l’assassinat d’une jeune femme de 19 ans qui travaillait à l’hôpital sont bien connus (cf. le témoignage de Ben Alofs). Mais la récurrence du phénomène se retrouve dans plusieurs passages, mentionnés par exemple dans Kapeliouk.[46]
B.2.2. Deuxième
sous-critère : organisation et/ou concertation.
Le deuxième sous-critère repris dans la définition du Statut, est le fait que les actes visés doivent être l’application ou la poursuite d’une politique collective (d’un état ou d’une organisation). La notion de politique exige un certain degré de concertation au sein de l’organisation, étatique ou autre, à laquelle appartiennent les auteurs.
L'importance de ce deuxième sous-critère doit pourtant être relativisée : l'évolution la plus récente de la jurisprudence des TPIY montre que le critère de la concertation (le plan ou la politique) n'est plus tellement considéré comme un élément constitutif du crime contre l'humanité mais plutôt comme une indication du caractère systématique de ce crime[47]. L'inverse est déjà accepté par la doctrine et la jurisprudence : le caractère généralisé ou systématique est en soi un indice sérieux d’une planification préalable.
Quoi qu'il en soit, même en faisant abstraction des évolutions les plus récentes en la matière, les faits de la présente cause démontrent à suffisance que les massacres ont été planifiés et organisés.
Tout d'abord, la coopération fort efficace entre les forces Phalangistes et l'armée régulière israélienne (IDF) indique déjà à suffisance l'existence d'une planification ou au moins une organisation sans lequel le massacre de Sabra et Chatila n'aurait pas pu avoir lieu.
La fermeture des camps est rendue hermétique par les forces israéliennes, et plusieurs rapports soulignent comment ceux qui essaient de fuir les deux premiers jours sont refoulés par les militaires israéliens qui ont ordre reçu l’ordre de « boucler » le camp.[48]
Plusieurs témoins étrangers confirment ces faits, dont celui d’ Astrid Barkved devant la Commission Nordique:
“Nordic
Commission: Did I understand you correctly that all Thursday, that is the day
between those two days which we have been speaking about, soldiers forced people
back into the two camps? People were trying to flee from the camps?
Astrid
Barkved: People tried to flee from the camp and some carried white flags. They
went to the Israelis to tell them to stop shooting but they were sent back again
to the hospital.
Nordic
Commission: By Israeli soldiers or by other soldiers?
Astrid
Barkved: By the Israelis.
Nordic
Commission: So they were forced back into the camp on Thursday?
Astrid
Barkved: yes.” [49]
De plus, et en sus des éléments de fait déjà évoqués dans la première partie de la présente plainte, cette planification résulte clairement des éléments suivants :
- le Ministre SHARON et le Président libanais élu Bashir GEMAYEL ont eu plusieurs entretiens sur, entre autres, l'expulsion des Palestiniens du Liban. Selon diverses sources[50], un de ces entretiens aurait eu lieu dans la nuit du 12 au 13 septembre et aurait concerné en particulier le 'nettoyage' des camps;
- déjà le 9 juillet 1982, SHARON avait proposé à HABIB d'envoyer les Phalangistes à Beyrouth-ouest[51], mettant ainsi en évidence le fait qu'il avait une grande influence et un contrôle certain sur eux; nul ne met en doute que les milices agiront “sous la supervision” de l’armée israélienne (cf infra).
- plusieurs passages dans le livre de SHARON lui-même (autobiographie intitulée pertinemment "Warrior") traitent de son intention de "nettoyer" le Liban de tout le monde impliqué ou lié à l’O.L.P. C’est aussi dans ce sens que les journalistes israéliens expliquent l’ensemble de l’opération comme « un grand design » de M. Sharon, qui comprenait le « transfer » des palestiniens du Sud-Liban, sinon de l’ensemble du pays.[52]
- dans son témoignage devant la Commission d'Enquête officielle israélienne, le général YARON a déclaré qu'il approuvait tout à fait la décision d'envoyer les forces phalangistes dans les camps de Sabra et Chatila, en particulier pour le motif que "the fighting serves their purposes as well, so let them participate and not let the IDF do everything."
- dans le rapport de la Commission MACBRIDE, il est clairement indiqué que les autorités israéliennes portent une responsabilité pour les massacres de Sabra et Chatila, parce qu'elles ont été impliquées dans leur planification et leur préparation et parce que ces autorités ont facilité la perpétration des crimes[53];
- dans le même rapport MACBRIDE, la commission internationale a aussi placé le massacre de Sabra et Chatila dans le contexte plus large d'une politique de destruction -par bombardements entre autres- de toute une série de bâtiments à caractère clairement civil (hôpitaux, écoles, ...)[54]. Cette politique était voulue et planifiée.
- enfin, diverses sources[55] ainsi que les témoignages des plaignants démontrent que les forces armées israéliennes n'ont pas seulement joué le rôle d'instigateur et facilité les actions menées par les Phalangistes, mais également que des soldats de l'IDF y ont participé sur place. Ceci est confirmé par un témoignage très important d'un médecin hollandais (infirmier à l'époque) qui était présent à Sabra et Chatila au moment du massacre et qui, entre autres, confirme avoir constaté lui-même sur place la coordination entre les forces armées israéliennes et les Phalangistes dans les camps[56].
Il faut s’attarder à la convergence des témoignages à ce sujet, qui sont pour la première fois entendus par-devant un tribunal[57].
Il ressort des déclarations des plaignants et témoins deux éléments nouveaux : le premier élément est la présence de militaires israéliens sur les lieux du crime, dans la zone des camps. Le second est la collaboration des israéliens, peut-être pas dans les tueries, mais bien dans la ségrégation, les interrogatoires et l’acheminement de dizaines de civils vers des destinations dont ils ne reviendront jamais.
Il est d’ailleurs difficile d’imaginer qu’aucun soldat israélien, de l’armée ou des services secrets, n’ait pénétré les camps durant trois jours.[58] Il faut se souvenir que les milices ont été directement sollicitées pour le travail de « nettoyage », que les divers appuis logistiques, y compris un bulldozer utilisé pour raser les maisons et pour les fosses communes, et l’éclairage de nuit qui n’a pas cessé un moment, que des unités de milices « fraiches » ont été envoyées dans les camps dans l’après-midi du second jour pour prendre le relais : tous ces ordres étaient des ordres directs du commandement israélien. Le passage le plus frappant est celui où M. Ariel Sharon donne l’ordre d’entrer dans les camps « sous la supervision » de son armée :
[Mercredi 15 septembre] : At 9:00 A.M.
Sharon arrived at the forward command post together with Saguy. After being told
of the Phalange’s willingness to enter the camps, he repeated his order to send
them in “under the IDF’s
supervision”.[59]
Il n’est donc pas surprenant que ces témoignages concordent en divers moments sur la présence d’israéliens. Dans les rapports et enquêtes, les noms de soldats qui ont vu la tuerie et protesté auprès de leurs supérieurs sont nombreux.[60] Seuls quelques soldats (sans doute les plus honnêtes) ont en fait pris les devants lorsque la tuerie s’est confirmée, et se sont confiés aux journalistes et enquêteurs. Mais ceux qui étaient avec les milices ne l’ont naturellement pas fait, et l’enquête devrait déterminer de manière précise comment l’argument de l’absence totale d’éléments militaires israéliens peut encore être soutenu.
Même si une enquête sur la présence d’israéliens dans les camps durant le massacre ne devait pas aboutir, il ne fait aucun doute que les vendredi 17 et samedi 18, surtout, des dizaines de civils, principalement des hommes, ont disparu après que le « tri » se soit fait en présence de l’armée israélienne. Les témoignages sont nombreux de ces rafles meurtrières, surtout à la Cité Sportive, qui jouxte les camps et où l’armée israélienne se trouvait en force.
Voici quelques-uns des passages, dans les témoignages, qui soutiennent ces deux éléments nouveaux, et que l’enquête devra déterminer et approfondir :
Ouadha Hassan el-Sabeq :
Mahmoud Younes :
« A la Cité Sportive,
j’ai vu les militaires israéliens, ainsi que les chars, les bulldozers et
l’artillerie, tous israéliens, de même que nous avons vu des groupes de
Phalangistes réunis avec les israéliens ».
Jamilé Mohammad Khalifé :
« Les Israéliens et les
Phalangistes sont revenus un peu plus tard et nous ont demandé par haut-parleur
de nous rendre en nous promettant la vie sauve si nous sortions des abris. Nous
avons alors brandi un drapeau blanc et quand nous sommes sortis de l’abri, mon
père a dit que nous n’aurions pas la vie sauve et qu’ils allaient nous tuer. Je
lui ai dit de ne pas avoir peur et de venir avec nous. Ils nous ont alors tous
entraînés, femmes, enfants et hommes; mon père a essayé de s’enfuir, ils l'ont abattu devant ma mère et ma
petite soeur. Ils nous ont tous fait marcher; il y avait avec nous notre voisine
blessée, portant ses intestins et souffrant d’une hémorragie. Nous nous sommes
enfuies, elle et moi, à l’intérieur du camp de Chatila et de là nous nous sommes
réfugiées à l’hôpital Gaza. Quand ils sont arrivés à proximité de l’hôpital
Gaza, nous nous sommes à nouveau enfuies ».
Amina Hasan Mohsen :
« Un israélien nous a
dit de sortir. On a vu ensuite une personne qui parlait le libanais. Lorsque
nous sommes sortis sous le couvert des israéliens, il s’est mis à nous crier
dessus. A ce moment, j’ai compté mes enfants et j’ai vu que Samir
manquait… »
Sana Sersaoui :
« …Les israéliens
postés devant l’ambassade kowétienne et devant la station Al Rihab ont demandé
par haut-parleurs que nous leur soyons livrés.
C’est ainsi qu’on s’est
retrouvé entre leurs mains. Ils nous ont pris à la Cité Sportive, et les hommes
devaient marcher en principe derrière nous. Mais les voilà qui enlèvent aux hommes leurs chemises pour leur bander les yeux avec.
Et c’est ainsi qu’Israël à la Cité Sportive soumettait les jeunes gens à un
interrogatoire, et que les Phalangistes lui ont livré 200 hommes.
Et c'est comme ça que ni mon
mari, ni celui de ma soeur ne sont revenus ».
Chahira Abou Roudeina :
« Que dire ? Lorsque
nous étions dans la Cité Sportive, ce sont les Israéliens qui assuraient la
protection des phalangistes, et les chars israéliens y étaient postés. De même
ce sont les israéliens qui criaient dans les hauts parleurs “rendez vous, vous
aurez la vie sauve ».
Behija Zrein :
« Pendant ce temps, une
patrouille israélienne s’est présentée et nous a demandé de nous rendre à la
Cité Sportive. Les hommes y sont allés, alors que nous, les femmes, avons été
emmenées à l’ambassade du Koweit.
C’est comme cela que nous
les avons vu embarquer les jeunes gens dans les voitures. Parmi ces jeunes gens,
mon frère. Ils leur ont bandé les yeux, ils ont embarqué mon frère. C’est ainsi
qu’il a disparu et que je ne l’ai jamais revu. »
Fady El Sakka :
« Le samedi vers midi,
alors que nous étions encore à la maison, nous avons vu les israéliens arriver
chez nous à la maison. Ils nous ont dit de sortir tous de chez nous. J’étais un
petit garçon de 6 ans à l’époque. Nous sommes sortis et ils nous ont alors
emmenés vers la rue du côté ouest. Mon père portait mon petit frère; ils lui ont demandé de confier l’enfant
à ma grand-mère qui était aussi avec nous. Ils ont voulu emmener mon père et mon
oncle; alors, ma grand-mère leur a demandé où ils les emmenaient. Quelqu’un lui
a répondu qu’ils reviendraient bientôt ».
Les indices relatifs à la planification sont donc nombreux et convaincants. En toute hypothèse, la preuve de cet élément constitutif, tout comme la preuve de l'intention (mobile) requise pour le crime de génocide, peut être dégagée objectivement de circonstances de fait[61].
B.3. Deuxième élément
constitutif : caractère généralisé ou systématique de l'attaque.
Sur ce point juridique le droit coutumier a également évolué depuis les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo : actuellement, il n'est plus requis que l'attaque contre une population civile soit généralisée et systématique.
Les meurtres et autres actes criminels commis à Sabra et Chatila, l’ont cependant été d’une façon généralisée et systématique. Ceci résulte notamment du fait que l’accès aux camps a été fermé, que des groupes de tueurs ont « nettoyé » quartier après quartier, et ceci durant trois jours.
B.4. Troisième élément constitutif : l'élément moral
Enfin, les crimes doivent être commis en connaissance d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile.
Comme le démontre le Statut de la C.P.I., il n'est plus requis que l'auteur du crime contre l'humanité ait agi en raison d'une politique de persécution, de répression ou d'extermination. Il suffit par contre que l'auteur ait agi en connaissance de cause (sciens et volens, cfr. l'article 30 du statut de la CPI). Actuellement, cette règle est fondée aussi bien sur le droit coutumier que sur le droit conventionnel pertinent.
Néanmoins, l'on constate que les personnes identifiées dans la présente plainte en tant que responsables pour le massacre de Sabra et Chatila, n'ont pas seulement voulu commettre ou participer à ce massacre, mais ont également agi dans le cadre d'une politique de persécution, de répression et même d'extermination.
Enfin, il importe de répéter ici la résolution 37/123 D de l'Assemblée Générale des Nations Unies, par laquelle le massacre de Sabra et Chatila a été qualifié d'acte de génocide. Etant donné que, par définition, tout acte de génocide dans le sens de la Convention de 1948, constitue un species du même genus, à savoir le crime contre l'humanité, l'acceptation de la qualification comme crime de génocide implique donc automatiquement que tous les critères requis pour la qualification de crime contre l'humanité sont également réunis en l'espèce.
Cet élément moral sera d'ailleurs encore plus développé lors de la discussion des responsabilités pénales individuelles pour les massacres de Sabra et Chatila (cfr. infra, point IV.).
C. CRIMES DE GUERRE
Commis en violation des dispositions de la Convention IV de Genève relative à la protection des personnes en temps de guerre de 1949, ratifiée par l'Israël[62] et par la Belgique[63], les massacres à Sabra et Chatila doivent également être qualifiés de crimes de guerre, dans les termes de l’art. 8 du Statut de la C.P.I., et d’infractions graves portant atteinte aux personnes et aux bien protégés par les Conventions de Genève, dans les termes de l’art. 1§3 de la loi du 16 juin 1993, ces massacres étant perpétrés dans le cadre d'une invasion agressive par l'armée israélienne sur le territoire du Liban, présentant ainsi un caractère international au sens de ladite Convention IV.
Les victimes de Sabra et Chatila doivent toutes être considérées comme des personnes protégées dans le sens de ladite Convention IV, en particulier l'article 147. Les allégations de M. SHARON, par rapport à la prétendue présence, dans les camps, d'environ 2.000 personnes armées[64] ont clairement été contredites par les faits. La quasi-totalité des réfugiés de Sabra et Chatila n'ont pas montré la moindre résistance. De nombreuses personnes ont été retrouvées assassinées avec encore leur carte d'identité dans les mains, illustrant de façon dramatique leur confiance dans la protection qui aurait dû leur être accordée en tant que civils (voir supra sous B2).
A cela s'ajoute la circonstance que l'armée israélienne était, à l'époque, une force d'occupation dans le sens de l'article 4 de la même Convention IV et que cette armée avait donc une responsabilité claire envers les personnes protégées.
Constituent notamment des crimes de guerre : l’homicide intentionnel, la torture ou autres traitements inhumains, la destruction de biens sans nécessité militaire, ainsi qu’en général le fait de soumettre la population civile ou des personnes civiles à une attaque, et de soumettre à une attaque des localités non défendues. Tous ces crimes ont été commis à Sabra et Chatila par les milices phalangistes, soutenues activement par les Forces de Défense Israéliennes, qui leur avaient confié le contrôle des camps « sous leur supervision » .”[65]
.
D. CONCOURS D’INFRACTIONS
A la lumière des qualifications précitées, il faut conclure que les agissements des différents acteurs du massacre de Sabra et Chatila constituent un concours aussi bien matériel qu'idéal d'infractions. Les mêmes faits sont constitutifs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de crime de génocide.
Aucune règle du droit coutumier ni conventionnel ne s'oppose à l'application de plusieurs qualifications sur le même fait ou sur le même ensemble de faits. Au contraire : dans la première affaire jugée par le T.P.I.R. à Arusha (affaire Akayesu), un concours d'infractions a été constaté[66]. Un concours d'infractions a également été constaté par la Cour de Cassation française dans l'affaire Barbie[67].
E. CONCLUSION
Les faits commis à Sabra et Chatila sont constitutifs, de façon concurrente, d'un crime de génocide, d'un crime contre l'humanité, de crimes de guerre et des infractions graves aux Conventions de Genève de 1949.
La présente plainte est fondé sur les qualifications précitées, qui trouvent leur incrimination aussi bien dans le droit coutumier international (ius cogens) que dans le droit positif belge.
III.
COMPETENCE UNIVERSELLE DES JURIDICTIONS
BELGES
A. GENOCIDE
La compétence universelle par rapport à la poursuite et la punition du crime de génocide découle tout d'abord du ius cogens, et notamment de la convention de 1948. Dans son ordonnance du 8 avril 1993, la Cour Internationale de Justice a déclaré que "toutes les parties ont assumé l'obligation de prévenir et de punir le crime de génocide"[68] et que "les droits et obligations consacrés par la Convention (de 1948) sont des droits et obligations erga omnes". La Chambre d'Appel du TPIY, dans l'affaire Blaskic a déclaré que l'obligation pour toute juridiction nationale "de juger ou d'extrader les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire" était de caractère coutumier[69]. S'il est vrai que l'article VI de la Convention exprime en effet une préférence pour la juridiction des tribunaux de l'Etat directement concerné par les faits, cette compétence n'est pourtant pas exclusive[70].
Des considérations précédentes, il découle également la constatation que la loi du 10 février 1999, modifiant la loi du 16 juin 1993, est une loi de procédure par rapport à la compétence universelle pour des crimes de génocide. Cette loi est donc d'application immédiate, quelle que soit la date de l'infraction[71]. Le législateur belge a d'ailleurs très clairement appliqué ce même principe dans le même domaine avec la loi du 22 mars 1996 relative à la reconnaissance du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda : cette reconnaissance porte en effet sur une compétence formelle en droit positif belge par rapport aux faits commis depuis 1991, donc bien avant la loi du 22 mars 1996.
B. CRIMES CONTRE L’HUMANITE
Les parties civiles adhèrent pleinement au raisonnement développé dans l'ordonnance rendue le 6 novembre 1998 dans l'affaire Pinochet[72] et basé en particulier sur la constatation que le crime contre l'humanité trouve également son incrimination dans le ius cogens.
L'on retrouve d'ailleurs ce même raisonnement dans un nombre de
décisions prononcées dans d'autre pays, comme par exemple la décision Demjanjuk, dans laquelle une cour
fédérale des Etats-Unis a décidé : "The universality principle is based on the
assumption that some crimes are so universally condemned that the perpetrators
are the enemies of all people. Therefore, any nation which has custody of the
perpetrators may punish them according to its law applicable to such offences
... Israel or any other nation ... may undertake to vindicate the interest of
all nations by seeking to punish the perpetrators of such
crimes."[73]
De surcroît, les parties civiles soulignent que le gouvernement et le législateur belges ont expressément approuvé ce raisonnement lors de la préparation de la loi du 10 février 1999, modifiant la loi du 16 juin 1993.[74]. En confirmant le ius cogens comme source de l'incrimination, le gouvernement et le législateur ont d'ailleurs aussi mis en évidence le caractère de loi de procédure de la loi du 10 février 1999. En tant que telle, et en particulier par rapport à la compétence universelle, elle est donc également (comme pour le crime de génocide) d'application immédiate, quelle que soit la date de l'infraction[75].
D'après l'article 146 de la Convention IV de Genève de 1949, " chaque partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'avoir commis ou d'avoir ordonné de commettre, l'une ou l'autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que cette partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes.".
Ainsi, par exemple, le code militaire des Eta ts-Unis d'Amérique contient une
disposition expresse par rapport à la compétence universelle pour des crimes
contre l'humanité[76].
La loi du 16 juin 1993 forme l'exécution, en droit interne belge, de cette obligation internationale sur le plan de la juridiction universelle. Sur ce plan aussi, la loi du 16 juin 1993 doit recevoir une application immédiate, quelle que soit la date de l'infraction (cfr. supra).
Ce n'est qu'après une instruction approfondie qu'il sera possible de déterminer exactement les responsabilités des protagonistes de ces crimes. Le rapport KAHAN conclut à la responsabilité personnelle du ministre de la défense Ariel SHARON dans le massacre de Sabra et Chatila. Cette commission indiquait également la responsabilité du lieutenant-général Rafael EITAN, du commandant-brigadier général Amos YARON et du commandant major général Amir DRORI, outre celle des dirigeants phalangistes.
La figure centrale est incontestablement le général Ariel SHARON, ministre de la défense à l'époque, qui a personnellement dirigé les opérations militaires au Liban et qui était à Beyrouth au moment des faits. L'intéressé est actuellement Premier Ministre de l'Etat d'Israël.
Certaines informations laissent croire que M. SHARON, tout en préférant laisser agir ses collaborateurs locaux, ait pu planifier le massacre qui a lieu dans les deux camps, dans le but de terroriser la population palestinienne du Liban dans son ensemble, afin de la pousser à quitter le Liban ou, au moins, à se retirer vers le Nord du pays.
Des éléments qui constituent des indices en ce sens sont l'affirmation faite en public que "deux mille terroristes étaient restés dans les camps", et la déclaration faite à l'égard d'un rassemblement de Phalangistes après l'assassinat de leur dirigeant GEMAYEL, comme quoi ils ne "devaient pas pleurer comme des femmes" mais "agir comme des hommes" en faisant explicitement référence aux camps palestiniens.
Il est à noter que durant les semaines précédant le massacre, d'autres crimes de guerre ont été commis contre la population civile palestinienne du sud du Liban, notamment à Tyre et Sidon[77].
En ce qui concerne les milices phalangistes, ces milices pouvaient être considérées de facto comme des forces auxiliaires de la puissance militaire qui occupait à ce moment-là le sud du Liban et Beyrouth. Ces milices étaient armées et entraînées par Israël. Leurs dirigeants ne pouvaient prendre aucune initiative qui allait à l'encontre de la volonté de la force occupante. Les opérations menées par ces milices étaient concertées et préparées avec les dirigeants militaires israéliens[78].
Enfin, c'est l'armée israélienne qui a créé l'environnement nécessaire pour que le crime puisse avoir lieu, notamment par l'encerclement des camps avec des troupes, par la fourniture de soutien logistique aux milices et par l'organisation d'un éclairage permanent des camps durant la nuit.
Pour ce qui concerne les exécutants notoires, l’on peut se référer aux noms cités dans les rapports Kahan, et les ouvrages de Kapeliouk et de Schiff et Yaari[79].
Il y a lieu de prendre en considération l'article 4 de la loi du 16 juin 1993 en ce qui concerne l'assimilation au crime des actes de participation au sens des articles 66 et 67 du Code pénal, et l'omission d'intervenir activement pour empêcher l'infraction ou y mettre fin, alors que l'on en a matériellement la possibilité. Cette dernière incrimination -responsabilité du supérieur- trouve son origine dans la jurisprudence des Tribunaux de Nuremberg et a été clairement inscrit dans les articles 86 et 87 du Protocole I de Genève (1977). Ces règles par rapport à la responsabilité du supérieur relèvent également du droit coutumier[80] [81]. Sur ce point aussi donc, la loi du 16 juin 1993 n'est pas créatrice d'une nouvelle incrimination. L'article 4 de cette loi constate et confirme plutôt une règle préexistante en droit international coutumier. En tant que telle et à la lumière des articles 7.2. CEDH et 15.2. Pacte des Droits Civils et Politiques de 1966, elle peut être appliquée aux faits de la présente affaire.
Il faut ajouter aussi par rapport à cette responsabilité du supérieur qu'elle ne s'applique pas seulement aux infractions commises par de personnes qui se trouvent dans une relation de subordination formelle, mais également par toutes autre personnes -soldats ou non- qui lors de la perpétration de l'infraction se trouvent sous le contrôle factuel du commandant. Le lien de subordination s'apprécie de jure et de facto[82].
Les plaignants se constituent partie civile contre Ariel SHARON, ministre de la défense d’Israël au moment des faits, actuellement premier ministre, contre Amos YARON, commandant de division et général de brigade au moment des faits, actuellement secrétaire - général du ministère de la défense, et contre toute autre personne, qu’elle soit israélienne ou libanaise, dont la responsabilité sera établie dans les événements.
V. LE DOMMAGE
Les plaignants réclament des dommages et intérêts pour tous les crimes, visés par la présente plainte, qui leur ont porté préjudice.
En attendant les résultats de l'instruction, ils évaluent leur dommage de façon provisionnelle et réclament, par plaignant, un montant de 1,- € provisoire pour dommage moral et de 1,- € provisoire pour dommage matériel.
* *
A CES CAUSES
PLAISE A MONSIEUR LE JUGE D'INSTRUCTION
Donner acte aux soussignés du dépôt de la présente plainte et de leur constitution comme parties civiles contre les responsables du décès des membres de leur famille, des blessures occasionnées ou de la destruction de leurs biens, dans le cadre des assassinats, viols, disparitions forcées et autres crimes qui ont été perpétrés dans les camps de Sabra et Chatila à Beyrouth les 16, 17 et 18 septembre 1982.
Bruxelles, le 18 juin 2001
Chibli MALLAT Luc WALLEYN Michaël VERHAEGHE
Annexe : inventaire des
pièces du dossier déposé.
[1] Le « Conseil Révolutionnaire », mieux connu comme le « groupe Abu NIDAL », cf Z. Schiff et E. Yaari, Israel's Lebanon War, New York, Simon and Schuster, 1994, 97-100, à la page 99: “Les trois personnes arrêtées [par Scotland Yard] ont révélé qu'un émissaire de Baghdad leur avait transmis des ordres pour procéder à l'attentat, et qu'ils avaient reçu leurs armes du bureau de l'attaché militaire de l'ambassade irakienne à Londres." Le nom du responsable irakien est mentionné par Dilip Hiro, Iran under the Ayatollahs, Londres, Routledge, 1985, 211: « L'attaque israélienne a été déclenchée par la tentative d'assassiner Shlomo Argov, l'ambassadeur israélien en Grande-Bretagne, dans la nuit du 3 juin. L'opération de Londres avait été organisée par Nawal al Rosan, un 'marchand de tapis' irakien, qui s'est révélé plus tard être un colonel des services de renseignements irakiens ». (Notes de bas de page omises). A noter que l'ambassadeur Argov, reclus à vie par l'attentat, avait par la suite dénoncé la guerre d'Ariel Sharon au Liban.
[2] Pour un
catalogue détaillé des violations des Conventions de Genève à l’égard de la
population civile, voir le rapport de la Commission McBride (Prix Nobel de la
paix 1974), Israel in Lebanon, The Report of the International Commission
to enquire into reported violations of International Law by Israel during its
invasion of the Lebanon, 28 août 1982-29 novembre 1982, Londres, Ithaca,
1983, 187-192 (Conclusions)- Ci après dénommé Commission MacBride.
[3] Selon
Kapeliouk, Sabra et Chatila :
Enquête sur un massacre, Paris, Seuil 1982, citant le Haaretz du 15 septembre 1982, el général
Eytan aurait déclaré la veille devant la Commission des Affaires Etrangères du
Knesset que « Il ne reste plus à
Beyrouth que quelques terroristes et un petit bureau de l’OLP. ».
Kapeliouk, p. 30.
[4] Benny Morris, The Righteous Victims.
New York, A. Knopf, 1999, p.
540.
[5] SCHIFF & YA'ARI, Israel's Lebanon War, New York, Simon
and Schuster, 1984, p. 251
[6] A. Sharon, Warrior: An Autobiography, Simon and
Schuster, Ney York, 1989p. 498.
[7] Sharon à la Knesset, Annexe au rapport de la Commission Kahan, The Beirut Massacre, The Complete Kahan Commission Report, Princeton, Karz Cohl, 1983, p.124. (Ci-après, Kahan Commission Report).
[8] Les forces armées israéliennes.
[9] Kahan Report, p. 125: “mopping-up“.
[10] Kahan Commission Report, 14.
[11] Kapeliouk, p.37.
[12] Kahan Commission Report, 104: “We have found… that the Minister of Defense bears personal responsibility.“ Nous reviendrons sur cette conclusion édifiante.
[13] Emile Grunzweig. Avraham Burg, le président actuel de la Knesset, fut blessé lors de cette manifestation.
[14] Les
ouvrages les plus connus sont les rapports de la Commission Kahan, de la
Commission MacBride et de la Commission Nordique, et les livres de Robert Fisk,
Zeev Schiff et Ehud Yaari, Amnon Kapeliouk, Thomas Friedman, Jonathan Randal, et
d'autres. Une enquête du procureur militaire libanais, qui a expurgé en
conclusion toute responsabilité des exécutants, n'a jamais été publié.
Tabitha Petran, The Struggle over Lebanon, New York,
Monthly Review Press, 1987, p. 289.
[15] Schiff et Yaari, p.285.
[16] La résolution 37/123 D a été acceptée avec 124 voix pour, aucune voix contre et 22 abstentions.
[17] M.B. 11.2.1952.
[18]
Thomas Friedman, From Beirut to Jerusalem, New York,
Farrar, 1989, 163.
[19] "to
clean the PLO cadres out of West Beirut", Sharon, p. 498.
[20] Id., p. 426.
[21] Thomas Friedman, From Beirut to Jerusalem, New York,
Farrar, 1989, p..164.
[22] Schiff et Yaari, p. 264: « infant trampled to death by a man wearing
spiked shoes »
[23] “J'ai vu des phalangistes tuant des civils. […] L'un d'eux m'a dit: des femmes enceintes naîtront des terroristes.“ Kapeliouk, 60. Sur les ordres, idem: “Un sergent parachutiste entend son officer annoncer sur son poste émetteur à 11 heures: “Ça n'est pas fait pour nous plaire, mais je vous interdis à tous d'intervenir sur ce qui se passe dans les camps.“
[24] Nous sommes le jeudi 16 Septembre, juste avant l'entrée des milices dans les camps.
[25] Schiff and Yaari, 255. Hobeika était le chef milicien chargé de la première opération de “nettoyage.“
[26] I.T. 95-5 et 18-R61, 11.7.1991 Karadric et Mendic
[27]
DAVID, E., Principes de droit des
conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 1999, p.661. TPIR, affaire Akayesu, jugement du 02.09.1998, en
particulier le §478 : "Cette intention
peut se déduire d'un certain nombre d'éléments de fait, s'agissant du génocide,
du crime contre l'humanité et des crimes de guerre, par exemple de leur
caractère massif et/ou systématique ou encore de leur atrocité (...)"
[28] TPIR, affaire Akayesu, jugement du 02.09.1998, §478.
[29] Loi du
16 juin 1993, relative à la répression des violations graves du droit
international humanitaire, telle que modifiée par la loi du 10 février 1999,
art. 1§1.
[30] Notamment meurtre, torture, viol et toute forme de violence sexuelle de gravité comparable…faits qui ont été commis à Sabra et Chatila.
[31] Il faut savoir en effet que dans le dernier rapport du comité préparatoire pour la création d'une cour criminelle internationale, publié le 14 avril 1998, plusieurs options étaient retenues pour la définition du crime contre l'humanité. L'une des options consistait à imposer la condition que ces crimes se commettent "dans le cadre d'une campagne généralisée et systématique visant toute population"; une autre voulait ajouter la condition que ces crimes soient "perpétrés sur une grande échelle"; une troisième y ajoutait que les crimes doivent être "inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux, ethniques ou religieux ou reposant sur tout autre critère arbitraire". Aucune de ces variantes, limitant en quelque sorte la notion de crime contre l'humanité, n'a été retenue.
[32] Article 10 : "Aucune disposition du présent chapitre ne doit être interprétée comme limitant ou affectant de quelque manière que ce soit les règles du droit international existantes ou en formation qui visent d'autres fins que le présent Statut."
[33] Sénat
Belge, session 1998-1999, doc. 1-749/3, page 19 et suivants. Dans une note déposée en
commission, le Ministre de la Justice a précisé que l'incrimination, en droit
belge, du crime contre l'humanité provient de l'application de la coutume
internationale, reconnue expressément comme source de droit dans le Pacte
relatif aux Droit Civils et Politiques (PDCP, article 15.2.) et dans la
Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH, article 7.2.). Dans cette optique, le
Ministre conclut : "L'introduction d'une
incrimination explicite relative aux crimes de génocide et aux crimes contre
l'humanité ne constitue donc qu'une confirmation du droit existant, en en
assurant une meilleure visibilité (...)" (Ibid., page 20).
[34] Une autre référence légale importante est l'article 7.2. de la CEDH, affirmant que l'impératif de la légalité ainsi que le principe de non-rétroactivité qui est dérivé de cet impératif, ne s'oppose pas à la poursuite et la condamnation de personnes pour des faits réputés "criminels d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations". Une disposition tout à fait analogue figure dans le Pacte ONU de 1966 (art.15.2.).
[35] Notion consacrée par la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités (art. 53). Il s’agit de normes coutumières, acceptées et reconnues par la communauté internationale des Etats, et qui s’imposent à tous, sans conditions.
[36] Entre autres : affaire Barbie (avec un important arrêt de principes rendu par la Cour de Cassation française, le 20.12.1985);
[37] TPIY, affaire Tadic, n° IT-94-I-T, jugement du 07.05.1997, §§ 622-623. A cet égard, il faut remarquer aussi que la jurisprudence des deux TPI a été une source importante pour les rédacteurs du statut de la CPI. Ceci est bien illustré dans l'exposé des motifs du Gouvernement belge par rapport à la loi d'assentiment dudit statut (Doc.Parl.Sénat, session 1999-2000, doc.2-329/1, page 5, n°15).
[38] Cité par : DAVID, E., Principes de droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 1999, p.653.
[39] Juge d’instruction Bruxelles, 6 novembre 1998, R.D.P.C., 1999, p. 278 et s., J.T., 99, p. 308 et s.
[40] Etant donné que le caractère systématique et/ou organisé n'était pas un élément constitutif à l'époque, cfr. l'Accord de Londres contient la définition suivante : "' Les Crimes contre l'Humanité ': c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime."
[41]
ICTY, affaire Kordic, n° IT-95-14/2-T, jugement du
26.02.2001, §178 ss.
ICTY, affaire Blaskic, n°
IT-95-14-T, jugement du 03.03.2000.
Dans ce jugement le Tribunal a dit en particulier (§214) : "Le crime contre l’humanité ne concerne donc
pas seulement des actes commis à l’encontre de civils au sens strict du terme,
mais englobe également des exactions perpétrées contre deux catégories de
personnes : celles qui appartiennent à un mouvement de résistance ou celles qui
ont été des combattants, sous uniforme ou non, mais ne participaient plus aux
hostilités au moment de la perpétration des crimes, soit qu’elles avaient quitté
l’armée, soit qu’elles ne portaient plus les armes ou soit enfin qu’elles
avaient été mises hors de combat, notamment du fait de leurs blessures ou de
leur détention. Il s’ensuit également que la situation concrète de la victime au
moment où les crimes sont commis, plutôt que son statut, doit être pris en
compte pour déterminer sa qualité de civil. Il en résulte enfin que la présence
de militaires , au sein de la population civile qui fait l’objet d’une attaque
délibérée, ne modifie pas le caractère civil de celle-ci."
[42] Commentaires du CICR (
www.icrc.org/dih.nsf/ ) : "(...) dans les conditions du temps de guerre, il
est inévitable que des individus appartenant à la catégorie des combattants se
trouvent mêlés à la population civile, par exemple des permissionnaires qui
viennent visiter leur famille. Mais, pourvu qu'il ne s'agisse pas d'unités
constituées et relativement nombreuses, cela ne change en rien le caractère
civil d'une population."
[43] Schiff et Yaari, p.262. Le général Yaron lui coupe la parole lorsqu’il rapporte sa crainte du massacre des femmes, enfants et vieillards.
[44] Dans ce sens : I.C.T.Y., affaire "hôpital de Vukovar", n° IT-95-13-R61, en particulier le paragraphe 30 du jugement.
[45] Cfr. le
rapport du comité préparatoire du 14.04.1998, doc. ONU : A/CONF.183/2/Add.1, page 26. Voyez aussi : Human Rights
Watch, Justice in Balance -
Recommendations for an Independent and Effective International Criminal
Court, juin 1998, page 36-37 : "(...)
to require that crimes against humanity be committed as part of both a
widespread and systematic attack imposes too high a treshold and is
inconsistent with existing international standards. The same applies to the words 'on
a massive scale' (...) which should be deleted. The requirement that the
enumerated acts be committed as part of a widespread or systematic attack
is consistent with the state of current international law."
[46] Kapeliouk, p.47 :
“Ils écrasent la tête des
enfants et des bébés contre les murs. Des femmes, et même des fillettes, sont
violées avant d’être assassinées, à coups de hache…
Dans ce même quartier,
plusieurs autres femmes sont violées avant d’êtres assassinées. Elles sont
ensuite déshabillées et leurs corps disposés en forme de croix. l’une des jeunes
filles violées, de la famille Mikdad, est âgée de 7 ans.”…
p.60: “Les entrées du camp sont bloquées et les
soldats israéliens, à plusieurs reprises, ordonnent aux réfugiés qui essayent de
sortir de revenir sur leurs pas. Le cas le plus frappant est celui d’un groupe
de 500 personnes, qui avaient trouvé refuge dans l’enceinte de l’hôpital Gaza à
Sabra, et s’enfuient dans le courant de l’après-midi lorsqu’ils apprennent que
les miliciens entrent dans les hôpitaux, tuant, blessant et violant sur leur
passage. Drapeaux blancs en tête, les malheureux parviennent jusqu’à la corniche
el-Mazraa, sur l’axe routier qui, d’est en ouest, traverse la capitale. Ils sont
alors arrêtés par des soldats israéliens. Leur porte-parole leur explique que
les gens de Saad Haddad assassinent tout le monde. Ils reçoivent pourtant
l’ordre de retourner au camp. Devant leurs hésitations, un char israélien pointe
son canon sur eux et les oblige à faire demi-tour.”
p.
64: “Ils
racontent les tortures, les femmes violées trois, quatre cinq fois de suite, à
qui on a ensuite coupé les seins avant de les tuer.”
p.
84: “Ma voisine
… habitait en face. Avec sa famille, ils sont restés chez eux, sans doute
n’ont-ils pas compris ce qui se passait. Depuis si longtemps nous vivons dans le
bruit des combats et des bombardements. Quand nos sommes revenus, nous l’avons
retrouvée, pieds et mains liés, égorgée au couteau. On lui avait arraché sa
culotte et je crois qu’elle avait été violée.”
[47]
Voyez, en particulier : ICTY, affaire Kordic, n° IT-95-14/2-T, jugement du
26.02.2001, §182 : "The Trial Chamber
agrees that it is not appropriate to adopt a strict view in relation to the plan
or policy requirement. In particular, it endorses the Kupreskic finding that
“although the concept of crimes against humanity necessarily implies a policy
element, there is some doubt as to whether it is strictly a requirement, as
such, for crimes against humanity.” In the Chamber’s view, the existence of a
plan or policy should better be regarded as indicative of the systematic
character of offences charged as crimes against humanity."
[48] L’épisode de la délégation de quatre hommes, âgés entre 55 et 62 ans, portant un drapeau blanc est bien connu. C’était le jeudi soir, au début de la tuerie : « [Ils] se dirigent en délégation vers le poste israélien près de l’ambassade du Koweit, afin d’expliquer que dans le camp il n’y a ni armes ni combattants et que ses habitants se rendent….on les voit avancer vers la sortie sud du camp, puis ils disparaissent. On retrouvera, deux jours plus tard, trois de leurs cadavres… » Kapeliouk, p.51.
[49] Nordic Commission Report, p. 117-18.
[50] ALIA, J., "Liban : ce qui Sharon ne dira jamais ...", Le Nouvel Observateur, 6 novembre 1982; MORRIS, B., The righteous victims, New York, Alfred Knopf, 1999, page 540.
[51] SCHIFF & YA'ARI, Israel's Lebanon War, New York, Simon
and Schuster, 1984, page 251.
[52] Id., voir pour les diverses citations 240-241.
[53] Rapport du International Commission to enquire into
reported violations of International Law by Israel during its invasion of the
Lebanon, présidé par Sean MACBRIDE. En ce qui concerne l'implication des
forces (armées) Israéliennes, le rapport en question conclut : "The commission concludes that the Israeli
authorities bear a heavy legal responsibility, as the occupying power, for the
massacres at Sabra and Chatila.
From the evidence disclosed, Israel was involved in the planning and the
preparation of the massacres and played a facilitative role in the actual
killings." et : "8. Israeli
authorities of forces were involved, directly or indirectly in the massacres and
other killings that have been reported to have been carried out by Lebanese
militiamen in the refugee camps of Sabra and Chatila (...)"
[54] Cfr. en
particulier les conclusions 4. et 5. : "4. There
has been deliberate or indiscriminate or reckless bombardment of a civilian
character, of hospitals, schools and other non-military targets. 5. There has been systematic
bombardment and other destruction of towns, cities, villages and refugee
camps."
[55] Cfr. rapport MACBRIDE : dans le rapport, il est fait état d'une carte d'identité d'un sergent de l'IDF, laquelle a été retrouvée dans les ruines d'une maison à Chatila, ainsi que d'un laisser-passer, écrit en hébreu, donnant accès aux camps à un médecin. Ce dernier élément est confirmé dans le témoignage de Dr. Ben ALOFS (annexe dans le dossier)
[56]
Témoignage de dr. Ben ALOFS, repris dans le dossier annexé
[57] Des tentatives louables, et certaines extrêmement persuasives, ont relevé les témoignages des survivants, mais la Commission Kahan ne se préoccupait pas des témoignages des victimes. Même les quelques témoignages du personnel hospitalier étranger sont considérés comme suspects dans le rapport Kahan.
[58] Il est à noter, comme il est courant en Israel, que les officiers de renseignement ne sont pas nommés, et la Commission Kahan a un appendix secret, qui n’a jamais été divulgué.
[59] Schiff et Yaari, 254.
[60] Le lieutenant Grabowitz et d’autres.
[61] DAVID, E., o.c., p.661 citant la jurisprudence du TPIY et du TPIR ainsi qu' avis consultatif de la CIJ.
[62] Israël a ratifié les 4 conventions de 1949 le 06.07.1951. Les seules réserves formulées par rapport à cette ratification concernent l'utilisation du Bouclier Rouge de David comme emblème et signe distinctif (cfr. la liste figurant sur le site web du CICR : http://www.icrc.org/.
[63] Le 03.09.1952, la Belgique a ratifié les quatre conventions de 1949. Les protocoles additionnels I & 2 ont été ratifié le 20.05.1986.
[64] Déclaration de Sharon le
11.09.1982.
[65] La Commission
MacBride avait développé tous ces arguments pour requérir, il y a près de vingt
ans, la constitution d’un Tribunal Pénal Spécial pour juger les crimes commis à
Sabra et Chatila:
“The Commission recommends that the United Nations set up a special international tribunal to investigate and prosecute individuals charged with crimes of state, especially in connection with the Chatila and Sabra massacres. Such prosecutions should be carried by due legal process and with fairness to the accused. » (Recommandation 8, p.193).
[66]
ICTR, première chambre,
affaire ICTR-96-4-T, 02.09.1998, §§468 et suivants. Voyez en particulier le
§496, traitant également du problème de cumul des peines : "Eu égard à son Statut, la Chambre est d'avis
que les infractions visées dans le Statut - génocide, crimes contre l'humanité
et violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole
additionnel II - comportent des éléments constitutifs différents et, surtout,
leur répression vise la protection d'intérêts distincts. On est dès lors fondé à
les retenir à raison des mêmes faits. En outre, il pourrait, suivant le cas,
être nécessaire d'obtenir une condamnation pour plus d'une de ces infractions
afin de donner la mesure des crimes qu'un accusé a commis. Par exemple, le
général qui donnerait l'ordre de tuer tous les prisonniers de guerre appartenant
à un groupe ethnique donné, dans l'intention d'éliminer ainsi ledit groupe
serait coupable à la fois de génocide et de violations de l'article 3 commun,
bien que pas nécessairement de crimes contre l'humanité. Une condamnation pour
génocide et violations de l'article 3 commun donnerait alors pleinement la
mesure du comportement du général accusé."
[67] Arrêt du 20
décembre 1985, Bulletin des arrêts de la
Cour de cassation, 1985, page
1038 et suivants.
[68] CIJ, 08.04.1993, cité par DAVID, o.c., p.667.
[69] TPIY,
29.10.1997, affaire IT-95-14-AR, §29. : "(...) Le Tribunal international
n’a pas pour mission de remplacer les juridictions d’aucun État, quel qu’il
soit. En vertu de l’article 9 du Statut, le Tribunal international et les
juridictions nationales sont concurremment compétents. Les juridictions
nationales des États de l’ex-Yougoslavie, comme celles de tout État, sont tenues
par le droit coutumier de juger ou
d’extrader les personnes présumées responsables de violations graves du droit
international humanitaire. La primauté du Tribunal prévue à l’article 9 2)
s’exerce sur l’ensemble des juridictions nationales ou, si ces juridictions
manquent à cette obligation coutumière, il peut intervenir et
juger." (nous
soulignons)
[70] DAVID, o.c., p.666.
[71] La compétence en matière pénale est en effet soumise aux mêmes règles qu'en matière civile, à savoir au régime de l'article 3 du Code Judiciaire et du principe général qui en est le fondement (Cass., 24.12.1973, Pas., 1974, I, 447; Cass., 16.10.1985, R.D.P.C., 1986, p.410-414 avec note Leclercq; Bruxelles, 01.03.1995, R.D.P.C., 1995, p.756). Dans le même sens : CLOSSET-MARCHAL, G., L'application dans le temps des lois de droit judiciaire civil, Bruylant, 1983, p.29; TULKENS, F. & VAN DE KERCKHOVE, M, Introduction au droit pénal, Story-Scientia, 1998, p.208; VERHAEGEN, J. & HENNAU, C., Droit pénal général, Bruylant, 1995, p.88, n°90.
[72] Juge d’instruction Bruxelles, 6 novembre 1998, R.D.P.C., 1999, p. 278, J.T. 99, p.
308
[73] U.S. Court of Appeals, 6th Circuit,
31.10.1985, cité par DAVID, E., o.c.,
p. 634.
[74] Plus haut, le caractère coutumier de l'incrimination des crimes contre l'humanité a déjà été illustré avec ces mêmes travaux préparatoires, en particulier : Doc.Parl.Sénat, session 1998-1999, doc. 1-749/3, page 19 et suivants.
[75] Cfr. Cass., 30.06.1993, Pas., 1993, I, 635. VERHAEGEN, J. & HENNAU, C., Droit pénal général, Bruylant, 1995, p.88, n°90.
[76] U.S. Army Field Manual 27-10, §507(a)
(promulgé en 1956) : "The jurisdiction of
United States military tribunals in connection with war crimes (...) extends
also to all offenses of this nature committed against nationals of allies and of
co-belligerents and stateless persons.").
[77] S. MacBride e.a. Report of the International
Commission to enquire into reported violations of International Law by Israel
during its invasion of the Lebanon, conclusions 6
[78] Voyez, entre autres, l'article dans Der Spiegel du 21.02.1983, dans lequel un soldat de l'armée phalangiste fait état d'une réunion stratégique, le mercredi 15.09.1982, au début de l'après-midi. Selon le même soldat, une douzaine de soldats israéliens (en uniforme) ont participé à cette réunion. Toujours d'après cette même source, les soldats israéliens avaient clairement contrôle de la stratégie pour l'attaque de Sabra et Chatila.
[79]Les
dirigeants des unités de tueurs sont également cités dans le livre de R. Hatem,
dans un livre publié aux U.S.A.,From
Israel to Damascus. Pride Publications.
[80] TPIY, affaire Delalic, IT-96-21-A, jugement Chambre d'Appel du 20.02.2001, §§215-241. Comme la Chambre d'Appel l'indique expressément dans ce jugement, la question sur l'origine et la portée de la 'responsabilité du commandant' y est traitée à titre de principe et dans le but de fixer la jurisprudence du TPIY (cfr. §221). A titre de conclusion, la Chambre d'Appel a décidé que -d'après le droit coutumier existant depuis au plus tard le Protocole I (1977)- 'un commandant est pénalement responsable pour les infractions commises par ses subordonnés, s'il les connaissant ou s'il disposait des informations sur base desquelles il aurait du les connaître (§241).
[81] La circonstance que l'Israël n'est pas partie au Protocole I (1977) ne peut faire obstacle à cette constatation d'une incrimination coutumière de portée universelle. Lors de la guerre de Koweït, les Etats-Unis d'Amérique ont d'ailleurs qualifié de 'crimes de guerre' certaines attaques par les forces irakiennes, y compris les attaques à l'aide de missiles Scud en Israël. Selon le professeur E.DAVID, cette incrimination trouve sa source dans le Protocole Additionnel I (1977). Partant, en vu le fait que les Etats-Unis d'Amérique ne sont pas partie à ce Protocole Additionnel, il conclut que l'incrimination à laquelle référence était faite par rapport aux missiles Scud trouve son origine dans le droit coutumier (DAVID, E., o.c., p. 582).
[82] TPIY, affaire Delalic, IT-96-21-A, jugement
Chambre d'Appel du 20.02.2001, §195 et suivants, en particulier le §197 : "In determining questions of responsibility
it is necessary to look to effective exercise of power or control and not to
formal titles. (...) The Appeals Chamber considers that
the ability to exercise effective control is necessary for the establishment of
de facto command or superior responsability and thus agrees with the Trial
Chamber that the absence of formal appointment is not fatal to a finding of
criminal responsibility (...)".