Un autre regard

Le pillage du patrimoine du Sud!

Par Hakim Ben Hammouda

On pensait que le pillage du patrimoine artistique et culturel des pays sous-développés appartenait au sombre passé des périodes coloniales pendant lesquelles les métropoles ont ramassé des collections entières d'œuvres d'art en toute impunité. Des momies pharaoniques, des statuettes africaines, des objets appartenant aux périodes fastes de l'histoire arabo-musulmane, tous les musées de Paris, de Londres ou de New York disposent de leurs lots de pièces rares ou de collections entières, résultats de longues années de pillage.

Des collections que les pays sous-développés cherchent en vain à récupérer et à faire revenir dans les pays d'origine. Mais les choses ont bien changé après les indépendances. D'abord, les nouveaux pays indépendants se sont rapidement rendu compte de l'importance de cet héritage dans la construction de leur identité et ont cherché par tous les moyens à défendre cette part constitutive de leurs mémoires collectives.

Ensuite, les réglementations internationales sont venues renforcer les efforts de ces pays et leur donner des moyens afin de mettre en valeur leur patrimoine historique. Ainsi, l'UNESCO, dès sa création, s'est donné comme fonction de défendre le patrimoine culturel des pays sous-développés et a réussi à mobiliser des fonds pour réhabiliter des sites historiques. Cette institution a mis en avant le concept de patrimoine universel de l'humanité que tous les peuples doivent prendre en charge et défendre.

En même temps, les pays sous-développés ont accepté de céder une partie de leurs richesses artistiques et historiques le temps d'une exposition à des musées de renom des pays développés. Ces expositions permettaient de valoriser aux yeux des populations jadis colonisatrices et arrogantes l'héritage culturel et civilisationnel des peuples du Sud. Ces échanges culturels participaient également de cet effort de décentrage de la modernité qui jusque-là avait un caractère eurocentrique et ne pouvait concevoir une production artistique et intellectuelle en dehors du génie de l'homme blanc.

Un dogme et des conceptions qui ont justifié tout au long du 19ème siècle et lors de la première moitié du 20ème siècle la mission civilisatrice de la conquête coloniale. Désormais, l'exposition de ce patrimoine culturel et historique montrait à celui qui pouvait encore en douter que les pays sous-développés étaient porteurs d'humanité et avaient leur propre manière d'être modernes.

Bien évidemment ces évolutions ont réduit le pillage à grande échelle opéré dans le passé par les puissances coloniales. Cependant, le pillage et le vol des œuvres d'art des pays du Sud n'ont pas pour autant cessé. Mais on pensait jusque-là qu'il était le fait d'individus véreux voulant coûte que coûte orner leurs collections privées d'objets exotiques en provenance de contrées lointaines.

Ces individus trouvaient dans des groupes maffieux du Sud des partenaires zélés dans l'organisation de leur commerce d'un autre âge. Mais la misère était également l'alliée de ce processus de pillage. Qui n'a pas entendu l'histoire de ce gardien de musée dans un pays pauvre proposant à un touriste européen ou américain fortuné la cession d'une pièce rare pour une poignée de dollars ou de francs afin de nourrir sa famille ? Car parfois la dignité, la mémoire et l'histoire ne résistent malheureusement pas à la misère et à la faim !

Mais loin de nous l'idée d'imaginer que certains Etats se prêtent encore à ce type de pratique. Pourtant nous étions idéalistes en pensant que le nouvel âge démocratique se traduirait par un plus grand respect de l'autre et de sa propre voie d'accès à la modernité. La dernière polémique soulevée en France à l'occasion de l'inauguration du pavillon des Arts Premiers du prestigieux musée du Louvre vient nous ramener à la triste réalité du pillage.

En effet, les spécialistes de l'art africain ont tout de suite émis des doutes sur les moyens dont ce musée a acquis trois œuvres représentatives des cultures nok et sokoto en provenance du Nigeria. La réponse du musée a été immédiate en indiquant que l'acquisition de ces statuettes faisait partie d'un accord général de coopération signé entre la France et le Nigeria en février 2000.

Ils ont indiqué que le Président français Jacques Chirac est intervenu personnellement auprès de son homologue nigérian pour que ces statuettes de grande valeur fassent partie de cet accord. Au même moment, Françoise Cachin, directrice des musées de France, est montée au créneau, indiquant "qu'il fallait redoubler de vigilance" et "qu'il n'y avait pas besoin de refaire un code de déontologie car il existe une règle claire: pas d'objet volé dans les musées".

Or, cette thèse est fortement contestée en France par les spécialistes d'art africain qui précisent que ces pièces "faisaient partie d'un lot sorti en contrebande". Ils indiquent par ailleurs que trois mille pièces de la culture nok sont sorties en contrebande depuis 1993. Des propos confirmés par l'ambassadeur du Nigeria en France qui déclarait au quotidien Libération que "les pièces archéologiques étaient interdites d'exportation avant même la découverte des sites nok. Aucune pièce dans le monde en dehors du Nigeria n'a donc pu être acquise légalement".

Cette polémique vient renforcer le doute qui entoure la circulation de biens artistiques sur les marchés internationaux. Un doute qui touche autant les acteurs privés que les Etats développés qui cherchent à s'approprier l'héritage des cultures et civilisations non-européennes. Une appropriation qui prend les contours d'une négation de l'humanité des civilisations premières. Plus que jamais le dépassement de la crise de la modernité occidentale exige la reconnaissance d'autres voies d'être au monde et la possibilité d'un enrichissement mutuel. Une reconnaissance qui passe par le respect de l'héritage de l'autre et par un appui réel pour le valoriser !

H. B. H


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