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Daniel Mermet, 59 ans, animateur de «Là-bas si j'y suis» sur France Inter. Jugé pour «incitation à la haine raciale». Verdict aujourd'hui.
Don Quichoque
Par Christophe AYAD

vendredi 12 juillet 2002
Daniel Mermet
en 8 dates

1942
Naissance aux Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).

17 octobre 1961
Assiste à la manifestation pro-FLN durant laquelle des dizaines d'Algériens sont tués et jetés à la Seine.

1970-74
Fait du théâtre avec la troupe de la Table qui recule.

1976
Premier conte radiophonique sur France Culture.

1977
Participe à «l'Oreille en coin» sur France Inter.

1982
«Tendre est la nuit», première émission de contes érotiques sur le service public, est supprimée. Il revient à la charge avec
«la Coulée douce» puis «le Malin plaisir».

1989
Création de «Là-bas si j'y suis» sur France Inter.

2002
Poursuivi pour «incitation à la haine raciale».

 

 

 

a castagne, ça oui il aime. Mais pas à ce point-là. Se faire traîner au tribunal par l'Union des étudiants juifs de France, Avocats sans frontières et la Licra, se retrouver dans un prétoire, collé au mur par le trio Finkielkraut-Adler-Taguieff... Forcément, il le vit mal, Mermet, producteur-animateur-reporter-démiurge de Là-bas si j'y suis, l'émission culte de France Inter, de se voir épingler l'étiquette de «judéophobe», d'antisémite de gauche, pour des propos antijuifs et propalestiniens de ses auditeurs diffusés à l'antenne il y a un an. «Qui s'explique s'excuse, et qui s'excuse s'accuse. Quand on est accusé de ça, le soupçon s'installe.» C'est accessoire mais ce qui l'a blessé, lui, le fils de prolo de la banlieue rouge, c'est que des intellos, des «super-tronches» comme il dit, «ne sortent de leur bunker de mépris que pour aller droit au tribunal», sans même avoir écouté ses émissions, sans polémiquer, sans l'appeler. «Les intellos, c'est comme les curés, on les vénérait.»

En attendant le jugement prévu aujourd'hui, il essaye d'écrire là-dessus pendant que c'est chaud, d'oublier en s'abrutissant devant le championnat de France de pétanque à la télé. Sevré de sa dose quotidienne d'antenne, il tourne en rond dans son appartement encombré de souvenirs de voyages. Appelle les copains : «Dis donc, tu voudrais pas donner le site de la pétition dans ton émission.» Il raccroche, sert rasade d'auto-ironie pour faire passer la pilule : «C'est le Mermethon ! Avec les cons, il y a que les trucs cons qui marchent : les pétitions, les chiffres, ça les impressionne.»

Des amis, Daniel Mermet en a, comme tout le monde, mais ceux qui comptent vraiment ce sont ses ennemis. Il les aime grands, beaux et forts. Comme lui quoi, qui se voit en belle gueule, burnée et burinée. Les amis, on peut en changer, mais les ennemis, faut pas se tromper, question de standing. D'habitude, Don Mermet ne se trompe pas de moulins à vent, ce coup-ci, il n'a pas vu venir. Mais, sûr, il ne regrette rien : il ne refuse aucun combat.

Mermet est né chez de gens de peu promis à des «vies minuscules». Il y a du «à nous deux Paris» chez ce gars-là. «Je n'ai pas de complexe avec l'envie de réussir. J'étais comme tous ces peigne-culs qui avaient la rage et la légitimité: Coluche, Cavanna... On a tous pris l'ascenseur social.» Lui a appuyé sur le bouton du haut. Mais il continue de dire «ceux d'en face», de parler «la langue de l'ennemi». «Je suis resté là-dedans.» Il n'est pas mondain mais habite un appartement trop étroit et mal fichu en plein Boboland, dans le quartier de Montorgueil, qui a l'avantage d'être en territoire «ennemi».

Depuis le procès, Mermet s'est un peu amadoué et tient sa morgue en laisse. D'ordinaire, il est en guerre ouverte avec la rédaction de France Inter. Il ne peut pas s'empêcher de chambrer. «Je les ramène à leurs rêves d'adolescents, ils ne supportent pas de se voir rappeler qu'ils restent le cul derrière leurs ordinateurs.» Les professionnels de la profession détestent ce type qui la ramène, leur donne des leçons de «journalisme de rupture», mais fait leur métier mieux que la plupart d'entre eux. En treize ans de Là-bas si j'y suis, Mermet ne s'est pas beaucoup trompé : Sarajevo en 1992, le Rwanda en 1994, Grozny sous les bombes, la chute de Suharto en Indonésie, la Tunisie d'Ubu Ali, l'Afghanistan en plein media circus, etc. Il a toujours été là où il fallait. C'est un drôle d'oiseau qui passe son temps à se payer la tête des Michael Kael mais porte des vestes multipoches, qui se moque des «charlots au journalistan» mais qui harcèle les envoyés spéciaux pour qu'ils lui expliquent les subtilités de la hiérarchie tribale pachtoune. Mermet n'est pas un modeste, ni un faux, ni un vrai. Son émission mensuelle avec le Monde diplo, il trouve que «c'est bien pour eux, pour leur notoriété». Quand il fait la liste de ses amis, ce sont des trophées de chasse : «Vidal-Naquet, Maspero et Casto [riadis]». C'est comme lorsqu'il s'attaque à un sujet pour Là-bas si j'y suis, il lui faut le meilleur, la pointure. Il l'essore jusqu'à la corde pour en faire son jus à lui : un objet radiophonique non identifié, ni un programme de divertissement, ni une émission d'information, mieux que tout ça, ce que le service public peut faire de mieux tout en restant grand public. Ce qui sort du poste, c'est l'essentiel, la vie.

Il y a eu les moments de radio au-delà de la radio : Valentine, la petite Rwandaise qui a passé quarante-trois jours sous les cadavres, Hans Münch, le dernier médecin nazi qui coule une retraite paisible en Bavière, le brûlot censuré de Pierre Carles sur la télé... Et il y a les perles quotidiennes : les Parisiens embrumés, cueillis au saut du lit, à qui l'on demande ce dont ils ont rêvé dans la nuit ; le type qui bâtit une soucoupe volante en bois dans son jardin... Mermet est un sensuel, il flaire les gens plus qu'il ne les écoute, il digère les livres que d'autres ont lus pour lui, il sent les sujets plus qu'il ne les décortique. Il aime bouffer et baiser, il a les dents du bonheur. C'est un vampire, un cannibale qui se nourrit de ses fréquentations et les abandonne du jour au lendemain, lassé de voir ce qu'il croit être son reflet.

Avant d'entrer par effraction à Radio France, Mermet a fait, avec un talent égal, du dessin, des jouets en bois, de la peinture sur textile, du théâtre alternatif, du fromage de chèvre en Ardèche, des contes érotiques et d'autres pour enfants. Le point commun ? «L'engagement et le sens de la composition.» Ce qui l'a sauvé du militantisme plan-plan, c'est son amour de la radio. «Aujourd'hui, c'est un média sous-développé, du papier peint sonore. Mais ça s'améliore. Il y a des gens formidables venus des radios libres.» Il cite ses collaborateurs ! A la radio, ce qui le fascine c'est le son. Même les mots, il les choisit pour le bruit que ça fait quand on les frotte. «Mes auditeurs ne sont pas que des militants d'Attac, des fans de Bové. Il y a plein de VRP qui me disent : "M'sieur Mermet, je suis pas toujours d'accord, mais c'est comme si on y était."»

Bourdieu avait beau voir dans son émission «un pôle de radicalité», Mermet est trop égoïste pour se laisser enfermer dans une chapelle, même de gauche. Trop perso pour devenir le porte-parole de quiconque : il vote Besancenot mais joue les briseurs de grève à France Inter. Trop dictatorial avec ses collaborateurs, trop tyrannique et méprisant envers le petit personnel pour exercer un magistère, même à Radio France. Ce qui compte, c'est ce qu'il fait, pas ce qu'il est. La retraite à 60 ans ? «Dans une dizaine d'années», promet-il à 59 ans, grand-père, père envahissant de trois garçons, qui n'a commencé à croquer aux joies du grand reportage qu'à l'âge où d'autres songent à raccrocher.

Mermet a toujours été là où il fallait, avec ceux qu'il fallait, mais toujours à la marge, prêt à faire ses bagages pour aller voir ailleurs. Son acte de naissance politique à lui remonte au 17 octobre 1961, les Algériens jetés à la Seine par la police de Papon. Il porte des valises dans le réseau Jeanson. Mai 68 est une confirmation plus qu'un baptême. «A ce moment-là, j'avais déjà trois enfants, j'étais dans la vie active. On n'a pas attendu 68 pour commencer à se libérer. Mais ça a été comme des cloisons qui tombent : chacun a découvert que son voisin faisait la même chose dans son coin.» Il a été de toutes ses époques sans se laisser engloutir, jouant à saute-mouton avec les cases prison. «Que du bonheur !» Et, aujourd'hui, «le bonheur, c'est 6 heures du matin, je suis à Etienne Marcel avec ma valise et mon Nagra (magnétophone professionnel) à attendre un taxi pour l'aéroport.».

photo FR...DERIC POLETTI

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