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Si les musulmans sont gens pacifiques, l'islam prône une violence inacceptable.
Les versets agressifs

Par Lucas DEGRYSE

vendredi 20 septembre 2002

 
 
 


Lucas Degryse est philosophe et membre du comité de rédaction de la revue «le Philosophoire».
Sourate XLVII, v. 4 : «Quand vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu'à en faire un grand carnage, et serrez les entraves des captifs (...)»

ans une interview du magazine Lire de septembre 2001, Michel Houellebecq provoquait un scandale en tenant les propos suivants : «(...) j'ai eu une espèce de révélation négative dans le Sinaï, là où Moïse a reçu les Dix Commandements... subitement j'ai éprouvé un rejet total pour les monothéismes. (...) je me suis dit que le fait de croire à un seul Dieu était le fait d'un crétin, je ne trouvais pas d'autre mot. Et la religion la plus con, c'est quand même l'islam. Quand on lit le Coran, on est effondré... effondré ! La Bible, au moins, c'est très beau, parce que les juifs ont un sacré talent littéraire... ce qui peut excuser beaucoup de choses. Du coup, j'ai une sympathie résiduelle pour le catholicisme, à cause de son aspect polythéiste. Et puis il y a toutes ces églises, ces vitraux, ces peintures, ces sculptures...»

Peu après, sur le site d'Amazon.fr (1), Michel Houellebecq revenait sur l'interview scandaleuse avec ces commentaires : «(...) il y a des bouts de phrases qui manquent. En fait, tout part d'une théorie d'un de mes personnages dans Plateforme selon laquelle plus une religion est monothéiste, plus elle est discutable. En fait, c'est même plus que des bouts de phrases qui manquent, c'est tout l'arrière-fond. On touche là un point de désaccord entre moi et Auguste Comte ­ et Auguste Comte a été massivement suivi ­ sur le fait que le passage au monothéisme est un effort supplémentaire vers l'abstraction et donc est plutôt un progrès de la raison. Or, je pense que c'est une théorie sur laquelle il faudrait revenir. (...) pourquoi avoir choisi un principe au lieu de deux ? Je pense qu'il y a une erreur intellectuelle dans le fait d'avoir un unique principe organisateur.»

Les infractions qui ont été reprochées à Michel Houellebecq lors de son procès du 17 septembre 2002 étaient : injure et provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes en raison de son appartenance à une religion déterminée, en l'espèce, l'islam. Il apparaît cependant à la lecture de l'interview d'Amazon.fr que ses propos doivent être replacés dans le contexte d'une réflexion plus générale, tronquée par Lire puisque des phrases manquent, ce qui déforme l'arrière-fond théorique.

Cette réflexion est une critique des fondements du monothéisme selon laquelle «il y a une erreur intellectuelle dans le fait d'avoir un unique principe organisateur», n'épargnant ni le judaïsme ni le christianisme, qui n'échappent au rejet total que pour des raisons esthétiques ou de contradiction interne : même si les juifs écrivent bien, Moïse est un «crétin», qualité que doivent partager les adeptes de sa foi et le catholicisme est en fait un pseudo-monothéisme. La haine que Michel Houellebecq ressentirait à l'égard de l'islam a donc pour objet avant tout une structure théorique, qui s'incarne certes dans le monothéisme absolu de l'islam, mais qui ne lui appartient pas en propre et s'observe en fait dans toutes les doctrines organisées autour d'un principe hiérarchique unique.

Au-delà de l'islam, c'est la forme dogmatique de toute pensée organisée par un seul principe que Houellebecq attaque. Il se trouve que cette tendance dogmatique existe bel et bien dans l'islam, le terrorisme n'en étant qu'un des avatars pathologiques. Mais l'islam n'est pas Un, homogène. Il y a des islams (au moins deux, sunnite et chiite, eux-mêmes subdivisés en sous-courants) comme il y a en fait des judaïsmes et des christianismes. Ces trois religions ont chacune subi une diaspora qui a rendu leurs visages hétérogènes, multiples, possédant des contradictions internes. Elles ont chacune donné naissance à des courants majoritaires, populaires, dogmatiques, strictement monothéistes, et à des courants minoritaires, ésotériques, critiques et qui tendent à s'éloigner du monothéisme au sens strict au profit d'une pensée plus complexe. Il en va ainsi pour la Kabbale juive, la gnose chrétienne comme pour la mystique musulmane soufie, qui ont toutes été marginalisées et parfois jugées subversives ou condamnées par les courants majoritaires orthodoxes. Que Michel Houellebecq connaisse ou non l'existence de cette mystique musulmane souvent critique à l'égard du monothéisme populaire ne change rien : de toute façon, elle n'est pas atteinte par sa haine de l'islam qui ne vise que la composante la plus dogmatique de cette religion. Houellebecq ne vise donc pas les musulmans, il vise les musulmans qui croient en «l'erreur intellectuelle du monothéisme». Il se situe sur le plan de la discussion philosophique des principes, fort loin d'une incitation bornée et stupide d'extrême droite à la haine religieuse. Il se contente de critiquer un système de croyance. N'a-t-on plus le droit d'exprimer publiquement un rejet de ce que l'on estime être un dogmatisme idéologique sans encourir aussitôt un procès ? Dans un cadre laïque, chaque religion a le droit d'exister, mais chaque religion a aussi le devoir d'accepter la critique.

Deuxième point. Dans leur diversité, les islams se reconnaissent tous néanmoins dans le Coran. Le positionnement des musulmans à l'égard de ce texte est cependant souvent ambigu. Si tous le reconnaissent comme une autorité, beaucoup estiment qu'il doit être interprété et non pas appliqué à la lettre. De fait, des propos intolérables y sont parfois consignés, de véritables appels au meurtre et à la haine contre les «infidèles» et les «idolâtres», dont voici quelques exemples (2) : sourate V, verset 56 : «O croyants ! Ne prenez point pour amis les juifs et les chrétiens ; ils sont amis les uns des autres. Celui qui les prendra pour amis finira par leur ressembler, et Dieu ne sera point le guide des pervers.» Verset 76 : «Infidèle est celui qui dit : Dieu, c'est le Messie, fils de Marie. Le Messie n'a-t-il pas dit lui même : O enfants d'Israël, adorez Dieu qui est mon Seigneur et le vôtre ? Quiconque associe à Dieu d'autres dieux, Dieu lui interdira l'entrée du jardin, et sa demeure sera le feu. Les pervers n'auront plus de secours à attendre.» Sourate VIII, verset 7 : «Le Seigneur cependant a voulu prouver la vérité de ses paroles, et exterminer jusqu'au dernier des infidèles.» Sourate IX, verset 5 : «Les mois sacrés expirés, tuez les idolâtres partout où vous les trouverez, (...)Verset 30 : «Les juifs disent : Ozaïr est le fils de Dieu. Les chrétiens disent : Moïse est le fils de Dieu. Telles sont les paroles de leurs bouches ; elles ressemblent à celles des infidèles d'autrefois. Que Dieu leur fasse la guerre ! Qu'ils marchent à rebours !» Sourate XLVII, verset 4 : «Quand vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu'à en faire un grand carnage, et serrez les entraves des captifs que vous aurez faits.»

Face à de telles violences verbales, on peut juger et condamner ou essayer de comprendre. Si l'on décide de juger, on peut alors franchement se demander qui de Houellebecq ou du Coran aurait dû passer en procès. Cet éventail non exhaustif de citations du Livre saint des musulmans constitue un bel exemple d'injures et de provocations à la haine et à la violence envers des groupes de personnes en raison de leur appartenance à des religions déterminées, en l'espèce autres que l'islam. Soit l'on condamne et les propos du Coran et ceux de Houellebecq, soit on décide de les interpréter tous deux, de les replacer dans leur contexte. On nous rétorquera que le Coran est une parole sacrée, révélation divine, dont la traduction en français réclame des égards herméneutiques que les propos de Michel Houellebecq, simple mortel, ne méritent pas. Mais la justice laïque est indépendante de la question de l'existence de Dieu. Le Coran et les propos de Michel Houellebecq doivent donc être soumis au même examen critique.

On peut aussi nous reprocher d'avoir isolé ces phrases du Coran du contexte où elles figurent et qui fournit leur cadre d'interprétation. La juste compréhension d'un texte ou d'un corpus de citations réclame en effet de restituer le système général qui les contient, qui peut les contredire ou les expliquer métaphoriquement. Comprendre le vrai sens de ces attaques contre les infidèles suppose donc de les relier à la totalité des textes religieux islamiques de cette époque ainsi qu'au contexte socio-historico-culturel où ils ont été produits et à la psychologie de leurs auteurs. Mais, de la même façon, comprendre les propos de Houellebecq sur l'islam suppose de les replacer dans son système, c'est-à-dire le contexte général de sa pensée.

Que l'on décide ou non d'interpréter le Coran, sa littéralité reste en maintes pages d'une extrême agressivité et cautionne le recours à la violence physique contre les non-musulmans. En matière de discrimination religieuse et d'incitation à la haine, dans leur littéralité les propos de Houellebecq sont infiniment moins graves, il ne s'agit que de critiques théoriques et de sarcasmes, pas d'incitations à la guerre et au meurtre. Il est clair pour tout le monde que la majorité des musulmans croyants ou athées n'aspirent qu'à une vie tranquille loin des guerres de religion et de la violence physique. Il n'empêche que la violence symbolique de leur texte de référence peut légitimement poser problème. Dans un cadre laïque, neutre du point de vue religieux, sa publication doit évidemment rester autorisée. Mais si l'on tolère le Coran, il faut aussi tolérer qu'on le critique. Nous ne souhaitons qu'une chose : que la République française laïque vive en amitié avec l'Islam. Mais justement, c'est aux amis que l'on peut faire les critiques les plus sincères.

(1) www.amazon.fr/exec/obidos/tg/feature/-/209906/402- 8282676-9859340
(2) Edition GF-Flammarion.

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