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La rente pétrolière, une malédiction pour les pays producteurs
LE MONDE ECONOMIE | 18.03.02 | 18h38
MIS A JOUR LE 18.03.02 | 18h59
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Les pays du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient qui tirent leur revenu des hydrocarbures n'ont pas su mettre en place les structures propices à un développement durable.

Dans le torrent des explications visant à comprendre le sous-développement ou l'absence de véritable intégration à l'économie mondiale du Maghreb - exception faite de la Tunisie -, du Proche et du Moyen-Orient avancées depuis le 11 septembre, on a très souvent négligé le rôle dévastateur qu'a joué la rente pétrolière dans la plupart des systèmes économiques de ces régions.

C'est assez étonnant car les dysfonctionnements induits par l'existence d'une rente gazière ou pétrolière sont maintenant bien connus. En fait, cette méconnaissance reflète le peu d'attention portée à ces économies, auxquelles on s'intéresse uniquement en raison de l'évolution du prix du pétrole ou des potentialités de ces marchés.

A priori, l'existence d'une rente pétrolière importante permettait à des pays comme l'Algérie, l'Arabie saoudite ou l'Iran de ne pas être contraints par ce qui pénalise habituellement les pays en voie de développement : le manque de capitaux. L'objectif était alors d'utiliser cette manne pour bâtir des économies modernes. Or la simple présence de cette rente a conduit, outre à l'instabilité macro-économique propre à la dépendance pétrolière, à des difficultés presque insolubles : l'Etat, propriétaire de cette rente, l'a utilisée soit pour investir directement, soit pour bâtir une industrie totalement protégée de la concurrence, grâce à des subventions, des prêts spéciaux et une protection douanière. L'essentiel des revenus budgétaires provenant du pétrole, il n'a donc pas été nécessaire de favoriser le développement d'un véritable système fiscal et même d'un système bancaire efficace destiné à collecter l'épargne pour proposer des crédits.

L'Etat étant le propriétaire unique de la rente pétrolière et le système économique du pays ne fonctionnant que pour recycler cette dernière, ces économies n'ont jamais connu l'émergence d'une véritable classe entrepreneuriale nationale. Se sont plutôt constituées des bourgeoisies pétrolières qui changent au gré des régimes mais dont le principe de fonctionnement reste le même : bâtir une relation spéciale avec l'Etat pour accaparer de manière indirecte une partie de la manne.

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Economie

L'industrie s'est retrouvée sous-compétitive et très dépendante des importations de biens d'équipement, ce qui se reflète dans la part ridiculement faible des produits manufacturés dans les exportations. Ces économies deviennent, en fait, surtout des économies où prospèrent le secteur protégé et les services qui se développent uniquement via le recyclage de la rente pétrolière.

L'Etat rentier pratique une politique de redistribution clientéliste qui lui permet de construire des alliances politiques. Il devient impossible, dans ces conditions, de mener une véritable politique économique puisque le clientélisme prime sur toute autre considération. La politique fiscale est ainsi "pervertie" car elle sert surtout à favoriser certains réseaux. A cette fin, l'Etat utilise des instruments qui ont l'immense avantage de se situer en dehors du processus budgétaire classique et donc d'être difficilement identifiables. D'où, souvent, de larges déficits du secteur public.

Ces économies, très faiblement intégrées dans l'économie mondiale, développent une vision consommatrice et faussée de la modernité. Cette dernière apparaît surtout à travers l'acquisition de la technologie importée et non grâce à une mise à niveau de l'économie du pays par rapport au reste du monde (comme l'a fait la Turquie, par exemple). Enfin, la gestion clientéliste de la rente pétrolière conduit dans des pays à population importante comme l'Algérie et l'Iran à de très fortes inégalités en matière de revenus. De même, des économies basées uniquement sur le recyclage de la rente pétrolière sont absolument incapables de créer un nombre d'emplois suffisant pour faire face à une progression soutenue de la population active. Le taux de chômage atteint près de 30 % en Algérie et 14 % en Iran. De plus, une rente en cache souvent une autre. L'Egypte, qui cumule rente pétrolière, rente touristique, rente liée à la gestion du canal de Suez et rente de l'aide étrangère, est atteinte de tous les maux.

Il faut aussi noter que l'ensemble de ces dysfonctionnements se retrouvent dans la plupart des économies pétrolières, que ce soit en Afrique, en Amérique latine ou en Asie centrale - les économies d'Asie centrale qui basent leur développement futur sur la rente pétrolière et gazière de la mer Caspienne s'exposent à des lendemains qui déchantent. Il convient donc de relativiser les thèses "culturalistes" qui visent à expliquer le sous-développement et la faible intégration à l'économie mondiale du Maghreb et du Proche et Moyen-Orient.

Malgré tout, il est effectivement très difficile pour un pays disposant d'une manne pétrolière de réussir à diversifier son économie. Le seul exemple véritablement probant est le Mexique (dont le système fiscal reste toutefois sous-développé du fait du poids des recettes pétrolières). Mais ce cas est, en partie, spécifique car le Mexique a bénéficié des effets d'entraînement induits par la proximité de l'économie américaine. La grande difficulté tient au fait qu'il ne s'agit pas de mener des politiques classiques de libéralisation économique, mais de favoriser l'émergence d'une économie non pétrolière compétitive. Il faut, pour cela, tout un éventail de réformes (promotion et libéralisation des secteurs ayant un potentiel à l'exportation, séparation claire du public et du privé, refonte des systèmes bancaires et fiscaux, enchaînement des réformes politiques et économiques, etc.) dont l'ordonnancement est complexe.

En plus des risques liés à des situations sociales explosives, ces réformes se heurtent à la résistance des bénéficiaires de l'économie de rente. En Arabie saoudite, il s'agit de réseaux mêlant famille royale et marchands. En Iran, ils sont composés de bazaris (grands marchands) et des fondations religieuses. En Egypte, ce sont des réseaux politico-militaires alliés à quelques grandes familles qui s'opposent aux réformes. La tâche apparaît donc difficile, et l'on ne peut s'empêcher de penser que l'Union européenne doit jouer ici un rôle déterminant.

Thierry Coville
chercheur associé au département monde iranien (CNRS)

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 19.03.02




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