uand elle fait 
                  du ski ou de l'équitation, Dallila Tahri, 30 ans, porte le 
                  voile. Elle le garde quand elle travaille. Elle ne le quitte 
                  plus depuis huit ans. Le 15 juillet, elle a été licenciée pour 
                  ce long bout de tissu à forte valeur symbolique. Hier, elle 
                  poursuivait son employeur, la société Téléperformance, 
                  spécialisée dans le marketing téléphonique, devant les 
                  prud'hommes de Paris.
                  Téléenquêtrice, Dallila Tahri a été recrutée en intérim en 
                  janvier 2001 avec le hidjab (voile islamique), tel 
                  qu'elle l'arborait hier à l'audience : fins tissus blanc et 
                  blanc cassé superposés jusqu'à couvrir le front, les oreilles 
                  et le cou. Sans essuyer de reproches ni de réflexions, elle a 
                  effectué quelques missions, avant d'être embauchée 
                  définitivement en juillet 2001. Elle travaillait par 
                  téléphone, avec peu ou pas de contact avec la clientèle, dans 
                  une antenne de la société située dans le XIIIe arrondissement 
                  parisien. Mais à la fermeture de ce site, en juin dernier, 
                  elle a été mutée au siège social de l'entreprise. Les ennuis 
                  ont commencé. La manière dont elle porte le voile gênait la 
                  direction, qui lui a demandé de le nouer façon turban, afin de 
                  dégager le cou, les oreilles et le front. Dallila Tahri a 
                  refusé le compromis, elle a été licenciée sur-le-champ.
                  «Volonté propre». Devant les prud'hommes, la jeune 
                  femme, long corps recroquevillé par la timidité, ne demande ni 
                  indemnités ni dédommagement. Elle veut simplement être 
                  réintégrée dans l'entreprise. «Je ne suis pas 
                  fondamentaliste, dit-elle. Je ne demande pas aux autres 
                  de me suivre dans ma foi. Je veux seulement qu'on m'accepte 
                  telle que je suis.» Cette détermination rappelle le 
                  discours des premières élèves qui, au début des années 90, 
                  réclamaient le droit de porter le foulard à l'école (lire Jurisprudence 
                  et médiation, cas d'école efficaces). Une dizaine d'années 
                  plus tard, ces jeunes filles, devenues jeunes femmes, se 
                  présentent sur le marché du travail avec la même exigence.
                  Même si elle est de nationalité algérienne, Dallila se dit 
                  de culture française. Elle est arrivée en France à l'âge de 3 
                  mois, a fait toute sa scolarité sur le sol français, passant 
                  même par un établissement catholique, «ses parents rêvant 
                  du mieux pour elle», précise son avocat. C'est seulement à 
                  22 ans qu'elle décide de porter le voile. «C'est ma volonté 
                  propre, fondée sur mes lectures. Mes parents étaient 
                  étonnés. Je ne suis soumise à personne, seulement à Dieu.» 
                  Selon elle, le voile ne va pas à l'encontre de 
                  l'émancipation des femmes : «Elles doivent travailler et 
                  voter.»
                  «Dallila Tahri n'a jamais caché son orientation 
                  islamique, a plaidé son avocat, Me Thiénot Grumbach. 
                  Dès l'embauche, elle s'est présentée avec ce foulard. La 
                  société ne pouvait l'ignorer.» Pour lui, ce licenciement 
                  repose sur une discrimination liée à des convictions 
                  religieuses qui relèvent de la sphère privée, ce que condamne 
                  le code du travail (L122-45). L'avocat, qui s'est présenté 
                  comme un «défenseur de la laïcité» - notion qui 
                  implique le respect des convictions des autres -, a tracé une 
                  distinction nette entre l'école, espace public façonné par le 
                  principe républicain de laïcité, et l'entreprise, espace 
                  privé, où la liberté individuelle du salarié doit être 
                  respectée dans une limite négociée collectivement. «Je ne 
                  suis pas hostile à une réglementation, a soutenu Me 
                  Grumbach. Mais elle doit être élaborée avec les partenaires 
                  sociaux. A ce moment-là, Dallila devrait s'y 
                  conformer.»
                  L'avocate de l'employeur a rejeté ce point de vue. Devant 
                  les prud'hommes, Me Vanessa Lehmann a rappelé que son client, 
                  Téléperformance, était attaché au principe de «neutralité». 
                  Un principe que ne peuvent qu'entacher des «affichages 
                  de prosélytisme passif», tel un salarié habillé en 
                  skinhead ou un foulard islamique noué d'une certaine manière. 
                  «Il y a diverses interprétations de la religion musulmane, 
                  a remarqué l'avocate. Celle de Dallila Tahri est pure 
                  et fondamentale.» S'appuyant sur la jurisprudence, Me 
                  Lehmann estime que «l'employeur est le seul juge de l'image 
                  qu'il veut donner. Cela peut passer par la négociation 
                  collective, mais ce n'est pas une obligation».
                  Ramadan. Au nom de cette neutralité, la direction de 
                  Téléperformance a estimé que le foulard de Dallila Tahri au 
                  sein du siège social, où le passage de clients est important, 
                  pouvait froisser d'autres convictions religieuses et 
                  personnelles. Avec plus de 400 salariés de nationalité 
                  étrangère sur 4 000 personnes, l'avocate a démenti le 
                  «racisme antimusulman» dont Téléperformance pourrait 
                  être accusé. «C'est une entreprise Benetton, a-t-elle 
                  affirmé. Le télémarketing est un domaine où l'on n'est pas 
                  raciste. Nous avons adapté les plannings durant le 
                  ramadan.» Elle a rappelé qu'il n'a jamais été demandé à 
                  Dallila Tahri d'enlever son voile, mais seulement de le 
                  remonter sur sa tête, ce que d'autres salariées ont fait. 
                  «Au nom de mes convictions religieuses, je ne le peux 
                  pas», réplique la jeune fille.
                  «Ouverture». Même si les affaires de voile restent 
                  encore rares en milieu professionnel, elles traduisent la 
                  volonté de jeunes femmes qui souvent ont fait des études - 
                  Dallila Tahri possède un BTS d'action commerciale - de lier 
                  certains principes hérités de la société française 
                  contemporaine, comme le droit de travailler, et foi 
                  religieuse. «J'ai eu la chance d'avoir des parents ouverts 
                  qui m'ont appris l'égalité entre les hommes et les femmes. 
                  J'ai toujours plein de copains qui viennent à la maison. En 
                  travaillant, je retrouve la même ouverture.» Dans 
                  l'après-11 septembre, son avocat craint que l'amalgame souvent 
                  fait entre islam et terrorisme puisse priver des jeunes, avec 
                  foulard ou barbe, du droit fondamental de travailler. 
                  Les prud'hommes se prononceront le 17 
                  décembre.