Que le Royaume uni de Tony
Blair joue les supplétifs et les auxiliaires de service
de la puissance américaine en dépit d’une forte
résistance interne, c’est sa vocation. Mais que l’Italie
de Berlusconi ou l’Espagne d’Aznar se rangent
servilement sous la bannière étoilée pour partir en
croisade contre un pays arabe et musulman sans que rien
ne justifie une telle agression sème le trouble dans les
esprits et amène à réfléchir de ce côté-ci de la
Méditerranée.
L’attitude de l’Italie
et de l’Espagne portées volontaires, quel qu’en soit le
mobile, quoi qu’il advienne de la légalité onusienne et
quoi qu’il en coûte en extermination humaine, dans une
coalition militaire contre l’Irak aux seules fins
d’assouvir le désir d’hégémonie américano-israélien
choque et dérange. Ce genre d’alliance est pour le moins
dangereux, il porte en lui les germes d’une profonde
fracture culturelle.
En faisant allégeance
par voie de presse aux néo-conservateurs de l’exécutif
américain, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, trois
piliers de l’Euro-Méditerranée, ont choisi la famille,
voire le clan contre la justice. Ils se sont rangés dans
le camp de la guerre, au mépris de la raison. Ils
remuent ainsi la vase d’un contentieux séculaire peu
glorieux. La géopolitique s’est laissée contaminer par
les reliques barbares du Moyen Âge. Le spectre des
croisades resurgit de nouveau avec leur funeste cortège
de dérapage sémantique.
Berlusconi persiste et
signe ; il semble même trouver chez les intégristes qui
gravitent dans la mouvance du Président Bush un
réconfort moral à l’appui de ses thèses ténébreuses.
L’Italie, l’Espagne et
le Portugal n’ont pas fait le choix que leur dictent le
droit, leurs intérêts et ceux de la région. Ils n’y
étaient pas obligés. Quel dommage ! Que reste-t-il de
l’Euro-Méditerranée et que reste-t-il même de l’Europe ?
Que de fractures en perspective ! Les pays les plus
méditerranéens de l’Europe tournent le dos à la
Méditerranée. Ils ont ôté au processus de Barcelone ses
dernières illusions.
Saddam Hussein n’est
sans doute pas un modèle du genre, mais l’Irak promu au
bûcher a, en raison de 12 ans d’embargo, à peine les
moyens de sa survie. Donner son onction à une guerre
préventive et y prendre part en dépit —jusque-là en tout
cas— des dénégations des inspecteurs en désarmement de
l’ONU est un fâcheux précédent même si le procédé
rappelle, à ne pas s’y méprendre, l’arme de “persuasion”
que fut jadis la politique de la canonnière. Triste
leçon de démocratie que l’Amérique et ses acolytes
cherchent à infliger à l’Irak, au motif de vouloir en
finir avec le régime et le système Saddam Hussein.
Si la guerre éclate, et elle est
inéluctable, l’Irak n’existera plus en tant que tel. Il
se désintègrera, se désagrègera sous la puissance du feu
et du calcul froid des stratèges de Washington. Ni la
région et moins encore la démocratie n’y gagneront en
stabilité. Les incertitudes qui pèsent aujourd’hui sur
l’économie ne se dissiperont pas d’elles-mêmes,
contrairement aux idées répandues à Davos ou ailleurs
comme pour se résigner à une guerre devenue inévitable.
La guerre, fût-elle foudroyante et terriblement
meurtrière ne mettra pas fin aux incertitudes qui
tétanisent aujourd’hui l’économie mondiale.
Les frappes américaines
réduiront l’Irak en un immense champ de ruines. Leurs
effets collatéraux n’épargneront aucune économie, et
plus particulièrement celles du Bassin méditerranéen :
notre économie pas moins que les autres.
L’économie tunisienne, bien qu’éloignée du
théâtre des opérations est aussi en première ligne pour
essuyer l’onde de choc de la guerre. Elle en est très
sensible. Le tourisme plongera de nouveau avant
même d’amorcer son redressement. Les investisseurs
étrangers qu’on cherche à attirer se détourneront de la
région.
Le transport aérien,
qui n’a pas tout à fait quitté la zone de turbulence
aura encore davantage de plomb dans l’aile ; la facture
énergétique, sous la flambée du cours du baril,
explosera et avec elle s’envolera tout espoir de
reprise. Une nouvelle poussée des primes d’assurances en
particulier à l’export et à l’import, déjà insupportable
achèvera de briser toute tentative de reprise. La guerre
pourrait nous faire perdre plus de trois points de
croissance et plus grave encore, entre un et deux
milliards de dinars. De cela les va-t-en guerre, réunis
sous la bannière
américaine, n’en ont cure. Triste perspective
!…De Hédi
Mechri |