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Fondateur du FIS, il développe une pensée politique aussi sommaire qu'expéditive
Ali Belhadj, un manichéen caricatural

A. A.-L.
[02 juillet 2003]

«Je salue ceux qui suivent la juste voie et craignent le Miséricordieux !» Le verbe haut, Ali Belhadj nargue le Taghout (pouvoir impie) même dans l'adversité. En pénétrant, le 12 juillet 1992, dans le box des accusés du tribunal militaire de Blida, il savait son sort déjà scellé ailleurs que dans cette salle d'audience aux boiseries ternes, qui n'arrivent même pas à donner au sinistre lieu un peu de solennité.

Dès le début du procès, Ali Belhadj se lance dans un violent réquisitoire contre «le régime des généraux infidèles». Il n'arrête sa diatribe que sous les coups de ses gardiens, qui le poussent brutalement vers les couloirs de la prison située à quelques pas du tribunal.

Après 12 ans de détention, Ali Belhadj continue de tenir le pays au bout de sa langue, redoutée comme une arme de destruction massive.

Ses formules à l'emporte-pièce résument une pensée politique aussi sommaire qu'expéditive.

Les lois de la République ? «Je foule de mes pieds vos lois et votre Constitution», proclame-t-il à la face de ses adversaires. La démocratie ? «C'est kofr (impie) ! Nous refusons la démocratie parce qu'elle est basée sur l'avis de la majorité. Nous ne nous soumettrons pas à la majorité, mais à ce qui est conforme à la charia. Et nous rejetons ce qui ne l'est pas.» Comme tous les islamistes, il fait de la femme une cible de choix : «La femme est un mal pour l'homme, elle serait mieux chez elle.» Puis, avec une logique désarmante, il se défend d'être misogyne : «Je suis le fils d'une femme, comment pourrai-je être l'ennemi de ma mère ?» Pour ce Savonarole de 47 ans, formé par des intégristes égyptiens, le manichéisme est poussé jusqu'à la caricature : d'un côté, les justes qui suivent la voie de Dieu, et de l'autre, les infidèles qu'il faut soumettre par le fil du glaive. Sa rencontre, en 1979, avec Mustapha Bouiali, qui prendra le maquis en 1982, marque un tournant dans sa vie. Arrêté en 1983 pour soutien à l'insurrection armée, Ali Belhadj est condamné à 5 ans de prison.

Libéré en 1987, il prêche à la mosquée Sunna de Bab el-Oued, qui deviendra son fief. Comme le répertoire d'une pop star, la virulence de son verbe attire les jeunes marginalisés par milliers, prêts à le suivre jusqu'au bout de l'horreur. Lors des émeutes d'octobre 1988, le jeune imam n'est qu'un second couteau dans le gotha islamiste. Ecarté par Abassi Madani, Mahfoud Nahnah, et cheikh Ahmed Sahnoun, les dignitaires intégristes qui créent une cellule de crise, la coqueluche des banlieues populaires organise, le 10 octobre 1988, une manifestation en plein état de siège. A Bab el-Oued, un provocateur, au milieu du cortège de 20 000 personnes, tire un coup de feu sur les militaires en faction devant le siège de la police. Les militaires ripostent, faisant 36 morts et des dizaines de blessés.

Condamné par ses aînés, Ali Belhadj, en pleurs, confesse sa «faute» devant des milliers de fidèles, et demande pardon à Dieu. Ce mea culpa lacrymal déclenche les retentissants «Allahou Akbar» d'une foule en délire. La légende Belhadj vient de naître.

Fondateur du Front islamique du salut en mars 1989, il devient le principal moteur du «Parti de Dieu», avec le titre de vice-président. Pendant la guerre du Golfe en 1990, il appelle ses partisans au «djihad contre les mécréants». Vêtu d'un uniforme de parachutiste, l'apprenti guérillero exige des camps d'entraînement, face au général Nezzar, ministre de la Défense, en costume de ville.

Le 20 avril 1990, il organise une marche grandiose sur la présidence de la République, mettant le FIS sur les rails d'une victoire retentissante aux élections locales de juin 1990. Mais, Ali Belhadj n'a que mépris pour les urnes : «Est-il concevable, dit-il, de voter pour l'islam dans un pays musulman ?»

En mai 1991, la grève générale illimitée, organisée par le FIS pour protester contre le découpage électoral, tourne à l'insurrection. Pendant deux semaines, Alger est paralysée par les démonstrations de force des «Afghans», qui occupent les places publiques. Dans la nuit du 3 au 4 juin, l'armée intervient pour rétablir l'ordre au prix de centaines de blessés. Abassi Madani et Ali Belhadj seront arrêtés quelques jours plus tard.

Malgré l'absence de ses chefs, le FIS sort vainqueur aux législatives du 26 décembre 2001. L'annulation du scrutin par l'armée plonge le pays dans une guerre civile qui fera plus de 100 000 morts.

Adulé par les uns, redouté par d'autres, Ali Belhadj reste, en dépit de ses excès, le plus emblématique des chefs islamistes. La force et sans doute la faiblesse de cet idéaliste révolutionnaire résident dans la sincérité de ses convictions, et dans son engagement, jusqu'au martyr, pour la «gloire du Créateur».