La vie de ministre à une fin. Une
fois sorti du gouvernement, celui-ci peut être nommé ambassadeur, P-DG, à la
tête d’une organisation ou se retrouver à la retraite. Enquête sur les multiples
façons de « recycler » un ex-ministre.
Par Moncef Mahroug
H abib Ammar est de retour. Sans
affectation depuis vingt et un mois, le premier ministre de l’Intérieur tunisien
de l’après-Bourguiba vient d’être désigné par le président Zine el-Abidine ben
Ali à la tête du comité d’organisation du Sommet mondial sur l’information, dont
la première phase se tient en décembre 2003 à Genève et la seconde en 2005 en
Tunisie.
Son parcours montre les contorsions que
peut connaître la carrière d’un ministre, après son départ du gouvernement.
Ministre de l’Intérieur en novembre 1987, il quitte ce département en novembre
1988 pour le palais de Carthage où il sera ministre d’État conseiller spécial
auprès du président de la République, avant d’être nommé ambassadeur à Vienne,
pendant près de quatre ans. En 1995, retour au pays pour occuper la fonction de
ministre de la Communication, pendant deux ans. Ce sera son dernier poste
gouvernemental. Les Jeux méditerranéens, que la Tunisie organise en 2001, lui
permettent d’effectuer un retour en tant que président du comité d’organisation.
Une fois les lampions des Jeux éteints, il rentre dans l’ombre pour en ressortir
à la fin de mai 2003.
Autre recyclage : le secteur privé. C’est
une voie empruntée par les ministres ayant eu un départ mouvementé du
gouvernement, comme cela se passe souvent. Toutefois, ce choix semble garantir
leur indépendance matérielle et politique. Grand argentier, Mansour Moalla
dirigea cinq ministères (Industrie et Commerce, PTT, Plan et Finances), avant de
quitter le gouvernement en 1983, à la suite d’un différend avec le Premier
ministre de l’époque, Mohamed Mzali. Reconverti dans les affaires, il décide
dans les années soixante-dix de monter la Banque internationale arabe de
Tunisie (BIAT), avec des investisseurs du Golfe. Aujourd’hui, il a des intérêts
dans diverses entreprises et est l’un des principaux actionnaires de la BIAT à
hauteur de 5,5 millions de dinars (1 DTU = O,771 $US). Il a vendu une partie de
ses actions à Hédi Djilani, président de l’UTICA (patronat tunisien), ce qui a
permis à ce dernier d’entrer au conseil d’administration.
Autre exemple : parti du gouvernement au
bout de huit mois seulement, Kamel Mustapha Nabli, ministre du Développement
économique dans les années quatre-vingt-dix, choisit de réintégrer la Banque
mondiale où il est actuellement économiste en chef du Département Afrique du
Nord et Moyen-Orient.
Le secteur bancaire, autre secteur
d’accueil pour les anciens ministres, parfois en raison de leur savoir-faire,
souvent pour leur carnet d’adresses. À titre d’exemple, le groupe Amen Bank
compte aujourd’hui deux anciens dans ses rangs : Ismail Khelil, diplomate de
carrière, ministre du Plan sous Bourguiba, gouverneur de la Banque centrale,
puis patron de la diplomatie, après 1987 ; et Salah Jebali, ancien secrétaire
d’État auprès du ministre de l’Économie chargé des Mines et de l’Énergie
(novembre 1987-juillet 1988) et ministre de l’Environnement et de l’Aménagement
du territoire. Chacun d’eux dirige une filiale du groupe.
Slaheddine Bouguerra est aujourd’hui
patron de l’Union bancaire pour le commerce et l’industrie (UBCI), filiale du
groupe BNP, après avoir été directeur d’HEC, conseiller auprès du président Ben
Ali, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, puis ministre de
l’Industrie. Centralien, ancien P-DG de Tunisair et ministre du Transport,
Faouzi Belkahia dirige une banque privée, la Banque de Tunisie, dont la Société
générale était actionnaire jusqu’en 2002.
Avant d’être en 2003 à la tête de la
filiale tunisienne d’Orascom, en tant que président du conseil d’administration,
Fethi Houidi, dernier titulaire, quelques mois, du portefeuille des Droits de
l’homme, de la Communication et des Relations avec la Chambre des députés, a été
secrétaire d’État chargé de l’Information auprès du Premier ministre, président
de l’Établissement de la radio-télévision tunisienne (ERTT) et ambassadeur au
Liban pendant deux ans (2000-2002).
Mais le recrutement peut se faire sur
recommandation gouvernementale. C’est le cas de Tijani Chelli. Il est d’abord
ministre de Bourguiba (Travaux publics et des Télécommunications, et Économie
nationale) pendant près de quatre ans (1969-1973). Sorti du gouvernement en
janvier 1973, il est nommé, en quelques mois, à la tête de l’Agence de promotion
de l’industrie (aujourd’hui Agence de promotion de l’investissement) puis de
l’Agence foncière industrielle – son dernier poste officiel avant de lancer une
entreprise privée de travaux publics (c’est le premier à s’être mis à son
compte). Rappelé en 1987 pour diriger le ministère de l’Éducation
nationale, il quitte de nouveau le gouvernement – définitivement – en avril 1988
et revient à ses affaires.
Similaire à celui de Tijani Chelli, le
parcours de Moncef Belaïd débute dans la fonction publique et se termine dans le
privé. Centralien, il est successivement P-DG de trois entreprises publiques,
puis d’une société semi-publique – la Société de commerce international de
Tunisie (SCIT) – et ministre de l’Économie (1988-1990). Enfin, il reprend les
rênes de ses entreprises, qui constituent aujourd’hui un groupe actif
principalement dans l’industrie (chimie, équipements électriques).
Ministre pendant quinze ans (1969-1984),
successivement chargé de quatre ministères (Affaires sociales, Habitat,
Transport et Communications, et Équipement), Sadok ben Jemaa quitte une première
fois le gouvernement, en 1972, pour réintégrer un poste de fonctionnaire au
ministère de l’Équipement. Lassé de l’inactivité, il lache la fonction publique,
pour créer un bureau d’études. Rappelé quelques années plus tard par Bourguiba,
il claque de nouveau la porte du gouvernement en 1984. Trois ans plus tard, on
le retrouve dans le premier gouvernement post-Bourguiba, comme ministre de
l’Équipement. Remercié huit mois plus tard, l’aîné des Ben Jemâa réintègre
tout naturellement le groupe familial, fort d’une demi-douzaine de sociétés,
dont l’une est concessionnaire de la firme BMW.
Le secteur public semble lui aussi
attractif, quand on se retrouve à la tête d’organisations ou d’organismes
nationaux, dans des organisations régionales ou internationales, etc. La filière
diplomatique semble être la plus utilisée. Bon nombre de ministres de Bourguiba
ont, au moins une fois dans leur carrière, effectué une intrusion dans le monde
de la diplomatie. Comme plusieurs ministres de Ben Ali, parmi lesquels Mohamed
Jegham (Rome), Faiza Kéfi (Paris), Fethi Mardassi (Berlin), Slaheddine Maaoui
(Jeddah), Salah Baccari (Rabat) et Tahar Sioud (Bruxelles).
D’autres coiffent la casquette de chef
d’entreprise dans le secteur public, à un moment donné de leur carrière.
Originaire de Sousse, gouverneur de Bizerte, ambassadeur à Mascate puis P-DG de
la Radiodiffusion et Télévision tunisienne sous Bourguiba, Abdelmelak Lâarif
entre au bureau politique du parti au pouvoir et au gouvernement après le
changement du 7-Novembre 1987. Ministre de la Culture puis de l’Information
pendant une année (avril 1988-avril 1989), il termine sa carrière comme P-DG de
quatre entreprises publiques – successivement : Société nationale immobilière de
Tunisie (SNIT), Société tunisienne d’aconage et de manutention (STAM), la Régie
de tabac, Tunisair – et d’une compagnie pétrolière mixte, la Société d’études et
de recherches pétrolières de Tunisie (SEREPT).
Bénéficiant du poids et de l’influence de
la Tunisie sur le plan régional et international, certains ministres ont pu
depuis les années soixante-dix accéder à la direction d’organisations régionales
ou internationales. Comme Chadli Ayari et le défunt Habib Chatti, respectivement
ministre de l’Économie et ministre des Affaires étrangères sous Bourguiba. Le
premier, aujourd’hui enseignant à l’université et conférencier très sollicité, y
compris à l’étranger, a dirigé la Banque arabe de développement économique en
Afrique (BADEA) dans les années soixante-dix. Le second a été secrétaire général
de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).
Ministre de la Culture, avant 1987,
ambassadeur au Caire à partir de 1988, puis ministre de la Culture et de
l’Information, conseiller spécial des Affaires étrangères, de la Défense et
président de la Chambre des députés, Habib Boularès est secrétaire général de
l’Union du maghreb arabe (UMA). Il succède à Mohamed Amamaou, à ce poste pendant
douze ans (après avoir été secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires
étrangères, chargé des Affaires maghrébines, puis conseiller auprès du
Président).
Mongi Bousnina, qui a fait partie du
gouvernement pendant cinq ans (secrétaire d’État auprès du ministre de
l’Éducation et des Sciences, puis ministre de la Culture) et qui a porté la
casquette diplomatique (Rabat et Paris), est depuis deux ans directeur général
de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences. Enfin,
Noureddine Hached, ministre avant 1987, est, depuis quelques mois, secrétaire
général adjoint de la Ligue des États arabes. L’organisation panarabe a même eu
un patron tunisien, après son transfert à Tunis en 1979 : Chadli Klibi,
successivement ministre de l’Information, de la Culture et directeur du Cabinet
présidentiel entre 1961 et 1979.
Les organisations nationales sont souvent
confiées à des ministres ayant quitté leur fonction. Ancien secrétaire général
du gouvernement, puis ministre de l’Intérieur, Abdallah Kaabi est président du
Conseil économique et social. Il a succédé à Chadli Neffati, actuel ministre des
Affaires sociales. Ministre de l’Éducation (1994-1997), Hatem ben Othman accède,
en 2001, à la présidence de l’Organisation tunisienne de l’Éducation et de la
Famille.
Enfin, un ministre peut partir en
retraite. Tel est le cas de Mahmoud Mestiri. Secrétaire d’État, puis ambassadeur
représentant de la Tunisie auprès des Nations unies à New York, avant 1987, il
devient ministre des Affaires étrangères de novembre 1987 à juillet 1988. Nommé
ambassadeur à Paris, il prend ensuite sa retraite avant d’être sollicité en 1994
par le secrétaire général des Nations unies, qui en fait son représentant en
Afghanistan pendant deux ans.
Certains membres de l’actuel gouvernement
ont effectué le va-et-vient au moins une fois dans leur carrière. Le recordman
en la matière est Abderrahim Zouari, actuel ministre du Sport. Il est secrétaire
d’État auprès du ministre de la Production agricole et de l’Agroalimentaire, le
7 novembre 1987. En juillet 1988, il quitte le gouvernement, après avoir été
nommé secrétaire général du RCD (parti au pouvoir), et est réintégré au
gouvernement en février 1991 comme ministre de la Justice. En août 1992, il perd
sa casquette ministérielle pour un poste d’ambassadeur au Maroc, où il ne reste
que dix mois, puis effectue un deuxième retour. Après avoir dirigé trois
ministères en six ans (la Jeunesse et l’Enfance, Affaires étrangères et
Éducation), il reprend en main le parti au pouvoir en novembre 1999, et fait un
troisième retour en décembre 2000, en tant que ministre de la Jeunesse, de
l’Enfance et des Sports.
Sortir du gouvernement n’est donc pas
toujours synonyme de disgrâce. Après avoir passé le témoin à Mohamed Ghannouchi,
Hamed Karoui est nommé vice-président du RCD – premier titulaire à ce poste – et
se situe dans le protocole officiel avant même son successeur à la tête du
gouvernement.
Plusieurs ministres réintègrent le
gouvernement au bout d’un certain temps. Premier chef de gouvernement de
l’après-Bourguiba, Hédi Baccouche, parti à la retraite après avoir été remplacé
par Dr Hamed Karoui, le 27 septembre 1989, n’a pas coupé tout lien avec le
pouvoir, puisqu’il continue à être invité et à assister à toutes les
manifestations et les cérémonies officielles.