Qu'il en soit porteur, qu'il le répande ou l'inocule, le juif
entretient depuis toujours des relations mystérieuses avec la
maladie, l'épidémie ou le poison. Cet amalgame, ce fantasme, revêt
en réalité, et depuis fort longtemps, la forme d'un véritable mythe
antijuif.
Pour s'en convaincre il suffit de revenir sur la longue liste,
non exhaustive, des accusations portées contre ces derniers dès le
début du Moyen Age. Souillure des hosties à l'époque de
l'Inquisition ; légende du Juif errant traînant derrière lui
épidémies et calamités ; puits empoisonnés durant la Grande Peste
noire au XIVe siècle ; Protocole des sages de
Sion, texte apocryphe de 1900 dont le 10e chapitre
rapporte la volonté des juifs de répandre des épidémies sur le monde
; épisode de la "maladie n°9", "infection juive" à Paris en 1920 ;
typhus du ghetto de Varsovie en 1940 ; "complot des docteurs juifs"
de Staline en 1956 ou "scandale du chewing-gum empoisonné" par le
Mossad en Egypte en 2002... : nul ne peut nier aujourd'hui combien
la combinaison juif/poison a été et reste encore un puissant
catalyseur de la haine du juif, de l'antijudaïsme chrétien à
l'antisémitisme contemporain.
Et puis on en vient tout naturellement à s'interroger. Sur la
crédulité de certains et notamment de ceux qui portent très haut
l'idée d'un complot juif contre Arafat aujourd'hui. Cette polémique
post mortem laisse une profonde impression de malaise.
Les faits semblaient pourtant clairs. Arafat était âgé, il est
décédé. Si un chef d'Etat ou un leader politique était mort sur le
sol français des suites d'un empoisonnement, comment imaginer une
seule seconde que les autorités françaises n'aient pas engagé une
procédure judiciaire ? Si elles ne l'ont pas fait, c'est simplement
qu'il n'y avait pas lieu de le faire.
Reste que certains veulent croire à l'assassinat. Pourquoi ?
Parce qu'il y a cet ancien mythe antijuif qui leur fait les yeux
doux. Et la tentation est forte, très forte. Après la perte d'un
homme politique qui incarnait leur cohésion identitaire, ces adeptes
de la conspiration retrouvent ici leur force derrière un ennemi
invisible : les services secrets israéliens. Cette idée, que rien ne
semble pouvoir arrêter, est si puissante que personne, sauf
suicidaire, n'imagine aller dans les rues de Gaza pour expliquer :
"Non, Arafat n'a pas été assassiné. Il avait une
cirrhose..."
Les autorités palestiniennes et leurs représentants semblent de
plus en plus perméables à ce doute de circonstance, voire se
complaire dans l'expression d'un doute providentiel, qui, si
souvent, a nourri l'argumentaire négationniste...
Difficile de ne pas lire derrière "l'opinion de la rue arabe"
la réactivation du mythe millénaire du juif empoisonneur, mythe
dangereux parce qu'essentiellement antisémite.
Tristan Mendès France est assistant parlementaire,
essayiste.