La Britannique d'origine irakienne, lauréate du
prix Pritzker 2004, s'est vu confier deux grands chantiers en France
: la construction d'une tour pour CMA-CGM sur le port de
Marseille et une médiathèque à Pau.
Coup sur coup, Zaha Hadid vient de se voir confier deux projets
en France, l'un sur le port de Marseille, une tour pour CMA-CGM,
puissant groupe de fret maritime, l'autre à Pau, une médiathèque
dessinée comme un gros coquillage sur le point d'accoucher de perles
colorées. Ce n'est pas la première fois que l'architecte britannique
d'origine irakienne construit en France : elle a livré en 2001 la
gare des tramways de Strasbourg, bel et vaste oiseau de béton aussi
stable qu'un albatros déposé sur les planches d'un navire
baudelairien et pris de mal de mer. Près de Bâle, elle avait
construit en 1999 pour le fabricant de meubles Vitra un poste de
pompiers, merveilleux exercice formel que les hommes du feu, par
essence attentifs à la verticalité des murs, ont préféré abandonner
et qui abrite depuis la célèbre collection de sièges de la
firme.
Les projets étaient modestes, mais déjà immense la réputation de
cette architecte née en 1950 à Bagdad, formée à l'Université
américaine de Beyrouth, puis à l'Architectural Association de
Londres, qui réunissait tout ce que l'Europe comptait d'esprits
imaginatifs, branchés, ou carrément destroy, adeptes déclarés ou non
de la déconstruction, des "blubs" (sortes de bâtiments-gargouillis)
et des postures à la Zorglub. Le Néerlandais Rem Koolhaas en était
l'Alpha. L'Omega, ce serait elle, Zaha Hadid, qui, diplômée en 1977,
rejoint l'OMA, l'agence que le gourou de Rotterdam dirige alors avec
Elia Zenghelis, avant d'aller fonder sa propre église à Londres.
Zaha Hadid est la dernière en date des Pritzker Prize, qui sont à
l'art de construire ce que les Nobels sont à la paix, la
littérature, la chimie. Lorsqu'elle obtient cette récompense enviée
- à 54 ans, c'est l'une des personnalités les plus jeunes à entrer
dans ce cercle d'élus -, elle a encore peu construit, mais plusieurs
grands chantiers sont en cours et les commandes affluent, toujours
plus nombreuses, après une longue période de concours perdus, voire
gagnés puis abandonnés. Tel l'Opéra de Cardiff (Pays de Galles),
vieux de presque quinze ans, mais jamais réalisé faute de
financement.
Elle reste loin de Bagdad : "Ce n'est pas le moment d'aller
proposer mon travail, alors que le pays entreprend à peine sa
reconstruction. Oui, j'y ai encore de la famille, mais nous ne nous
voyons pas. Pour le moment, il faut attendre", confie-t-elle.
Avant une conférence publique à Pau, le 3 décembre, Marseille a eu
la sienne la veille, réservée à la presse, rapide comme un éclair :
quelques mots, sibyllins, livrés avec une gentillesse qui contraste
avec le sentiment de désinvolture (probablement travaillée) qu'elle
inspire.
Habillée de noir par un couturier audacieux - peut-être
elle-même, si l'on s'attarde sur certains détails de structure -,
Zaha Hadid sait jouer de son allure de génie nonchalant, descendant
d'un tapis, et de son visage de feu, porteur de toutes les forces
des grandes légendes moyen-orientales. Comme la conférence a tourné
au monologue institutionnel, elle la poursuit, improvisant au pied
de l'estrade, comprenant le français, répondant en anglais. Son
projet de tour marseillaise n'est-il pas singulièrement simple par
rapport à la plupart de ses œuvres ? "C'est un projet adapté à ce
site violent, encadré par deux autoroutes. Il tire parti de cette
situation, comme un objet qui émergerait du sol."
Zaha Hadid est laconique. Ainsi : "L'architecture est
d'avant-garde lorsqu'elle est tournée vers les usagers qui sont trop
souvent oubliés." Ou encore : "Une architecture d'avant-garde
transforme l'espace public en espace civique."
"IMAGINATION RADICALE"
Voilà pour la posture morale. Sa pratique, elle, peut se résumer
à quelques principes simples : "Repousser constamment les
limites de l'architecture et de l'urbanisme"; "Expérimenter sans
cesse de nouveaux concepts spatiaux"; "Renforcer les paysages
urbains existants en proposant une nouvelle esthétique de la ville".
Ce que son partenaire, Patrik Schumacher, résume par les termes
"Imagination radicale".
Sa pensée, il faut plutôt la lire dans l'incroyable profusion de
dessins, déshumanisés par l'usage de l'informatique, qu'elle livre
pour chaque concours, ou simplement pour son plaisir, et dans les
textes que ses contemporains lui consacrent avec délectation : Greg
Lynn, Peter Cook, Gordana Fontana-Giusti et Andreas Ruby pour la
dernière mouture de ses œuvres complètes, publiée comme un grand
livre-jeu pour adultes sous un emballage de plastique. Comme dans la
plupart des ouvrages qui touchent à son travail ou à son image, elle
cherche à garder le contrôle, à imposer cette griffe qui en fait un
trésor vivant en Grande-Bretagne, à l'égal de Norman Foster, Richard
Rodgers ou du Français Philippe Stark. Un statut qui repose sur des
doses variables d'originalité, de mutisme, de vulgarité, de
snobisme, d'énergie et, dans tous les cas, d'individualisme
forcené.
Chez Zaha Hadid, les teintes rose ou violet, mêlées à du noir,
s'imposent naturellement. Ces couleurs "heureuses" animent notamment
le numéro spécial que lui a consacré la revue espagnole El
Croquis, en 2001, dans lequel figure un des plus longs
entretiens qu'elle ait jamais laissé publier. Elle y parle du
tremplin d'Innsbruck (Autriche) et du pavillon qu'elle a édifié sous
le dôme du Millenium, en 2000, à Londres.
"La plus belle chose de mon agence, dit-elle, c'est sa
dimension de recherche, pas une recherche fondée sur l'application
de solutions déjà connues, mais une façon d'étudier les dessins de
ville assez longuement pour imaginer de nouveaux
développements."
Au-delà de la flexibilité de ses projets, on retrouve des
constances : l'usage du béton qui lui permet d'envisager les formes
les plus opposées aux lois ordinaires de la gravité pour obéir à
celle d'une joyeuse légèreté, Et puis des plis, des angles, des
enroulements, des traits nets, acérés, tout un langage qui aurait pu
rester de l'ordre de la science-fiction sans des personnalités comme
elle, Frank Gehry ou Enric Miralles. Avec le risque qu'implique tout
catalogue formel, si étendu soit-il, celui d'un style qui tourne à
la répétition de trois ou quatre stéréotypes.
Depuis 2001, la carrière de Zaha Hadid, dont tous les détails,
vêtements, propos publics et conférences sont élaborés comme un
objet de marketing destiné à conquérir les plus vastes marchés, a
pris une formidable dimension. Cette mondialisation d'un modèle
architectural est ce qui la rapproche d'un Norman Foster,
susceptible, comme elle, d'adapter son style high-tech sous toutes
les latitudes. Comme les vins charpentés et boisés qu'a
universalisés le guide de Robert Parker, l'architecture selon Hadid,
a fait oublier son propos radical, par ses qualités plastiques en
premier lieu, mais aussi par son caractère répétitif, facilement
reconnaissable.
Cela convient aux maîtres d'ouvrage et aux commanditaires. Aux
Etats-Unis, il fallait au pied de chaque gratte-ciel un Miro, un
Calder ou un Lichtenstein. Puis la sculpture a investi
l'architecture et chaque ville a voulu son Gehry. Toute collection
étant appelée à s'étendre, il leur faut maintenant d'autres signes
faciles à partager, comme la magie de cette architecte venue du pays
des Mille et Une Nuits.
Frédéric Edelmann
Des ouvrages aux quatre coins du monde
Projets construits
Restaurant Moonsoon, Sapporo, Japon (1990).
Poste des pompiers de Vitra à Weil am Rhein, Allemagne (1993)
(photo).
Terminal des tramways de Hoenheim, Strasbourg, France (2001).
Tremplin de saut à ski d'Innsbruck, Autriche et Mind Zone.
Dôme du Millennium, Greenwich, Londres, Grande-Bretagne
(1999).
Centre d'art contemporain Richard and Lois Rosenthal
Center, Cincinnati (Ohio), Etats-Unis (2003).
En construction ou en projet
Centre national d'art contemporain à Rome, Italie.
Extension du Musée Ordrupgaard à Copenhague, Danemark.
Musée Guggengheim de Taichung, Taïwan.
Siège social de BMW, Leipzig, Allemagne.
Musée des sciences de Wolfsburg, Allemagne.
Gare maritime de Salerne, Italie.
Station du train à grande vitesse de Naples, Italie.
Centre d'archives, bibliothèque et gymnase, Montpellier,
France.
Plan d'urbanisme de la zone de Zorrozaurre, Bilbao, Espagne.
Price Tower Arts Centre, Batlesville, Oklahoma, Etats-Unis.
Opéra de Canton, Chine.
Nouveau quartier de Shibalidian, Pékin, Chine.
Biographie
1950 Naissance à Bagdad.
1972-1977 Etudes et diplôme à l'Architectural Association
de Londres.
1977- 1987 Travaille avec l'agence OMA à Rotterdam.
1987 Fonde son agence à Londres.
2003 Prix de l'Union européenne Mies Van der Rohe.
2004 Pritzker Prize.