Afef Jnifen au Parlement italien
? ITALIE - 18 septembre
2005- par ABDELAZIZ BARROUHI
Après ses prises de position contre la
xénophobie, l'ex-mannequin d'origine tunisienne est courtisé
par la classe politique de la péninsule.
D'une beauté éblouissante, Afef Jnifen est à 41 ans le
clou des soirées de la haute société italienne. Quoi de plus
normal, pourrait-on dire, s'agissant d'un ex-mannequin que les
grands couturiers comme Alaïa, Armani, Jean-Paul Gaultier ou
Cavalli s'arrachaient et dont la silhouette court les
magazines de mode ? De surcroît, elle anime des émissions de
télévision et, ce qui ne gâche rien, elle est l'épouse de
Marco Tronchetti Provera, l'entreprenant président de Telecom
Italia et de Pirelli.
Mais il a suffi que la jeune femme d'origine tunisienne
tienne des propos suggérant qu'elle pourrait entrer en
politique pour qu'elle fasse la une des journaux et que les
partis italiens, hormis ceux d'extrême droite, se disputent sa
candidature pour les législatives prévues en 2006.
Jusque-là, celle que ses compatriotes italiens appellent
par son prénom ne touchait à la politique que lors des débats
télévisés autour de l'émigration auxquels elle est souvent
conviée. « Je sais que je ne suis pas une émigrée ordinaire, a
expliqué Afef à J.A.I. Je faisais partie du monde un peu
frivole de la mode et de la télévision, mais mon éducation a
fait que je suis très sensible aux problèmes des autres. » La
Croix-Rouge italienne l'a nommée « ambassadrice pour la paix »
et elle soutient une autre association humanitaire qui se
charge de porter secours aux enfants en danger.
Pour défendre ses idées, Afef Jnifen se sert de sa
notoriété en Italie : c'est la première fois dans l'histoire
du pays qu'une jeune femme d'origine arabe y a acquis la
célébrité comme mannequin et animatrice de télévision.
Charismatique, intelligente, réputée pour sa forte
personnalité, elle s'élève, à la télévision ou dans les
journaux, contre la montée de la xénophobie et du racisme en
Italie, notamment à l'égard des musulmans. Elle veut
contribuer à une meilleure connaissance mutuelle entre les
religions et appelle à la tolérance. Pour reprendre les mots
du cinéaste italien Franco Zeffirelli dans le Corriere della
Sera, Afef essaie de « construire un pont d'amitié et de
compréhension ». Elle donne souvent aux Italiens leur propre
exemple en matière d'émigration et les met en garde contre le
mal de la généralisation qui consiste à juger un peuple à
partir des méfaits de quelques-uns : « Vous avez été
maltraités quand vous vous êtes installés ailleurs. En
Amérique, vous avez amené avec vous la mafia, mais cela ne
voulait pas dire que les Italiens étaient tous des mafieux. »
Afef Jnifen est choquée par les écrits de
l'écrivain-journaliste Oriana Fallaci qui mène une campagne
haineuse contre l'Islam, estimant que la présence des
musulmans menace de transformer l'Europe en « Eurabia ». Et
lorsque Marcello Pera, président du Sénat, exprime
publiquement son accord avec les idées de Fallaci, Afef
explose. Pera est en effet le numéro deux de l'État italien
après le président de la République, dont il assurerait
l'intérim en cas d'empêchement.
En septembre 2004, au cours d'un débat télévisé auquel elle
participe avec Pera, elle lui dit publiquement qu'elle est
outrée par ses positions. « Le lendemain, j'ai reçu un grand
bouquet de fleurs avec les compliments du président du Sénat,
raconte-t-elle. Ce jour-là, je me suis dit qu'il avait
peut-être compris. » Mais, voilà, Pera, membre du parti Forza
Italia de Silvio Berlusconi, récidive au mois d'août dernier
et prononce à nouveau un discours islamophobe au meeting
international de Rimini, dont le thème est pourtant « Pour
l'amitié entre les peuples ». Il affirme que l'Europe est «
menacée de métissage, notamment par l'immigration musulmane ».
Quelques jours plus tard, dans une interview au journal La
Stampa, Afef lui répond ainsi : « Métissage ? Mon fils [né
d'un premier mariage avec un avocat italien] et bon nombre
d'Italiens comme lui sont des métis. Que va-t-on faire de tous
ces métis en Italie et dans le monde ? Les jeter à la mer ?...
»
Le 29 août, Afef est l'invitée d'honneur de la kermesse
annuelle du parti centriste Union des démocrates pour l'Europe
(Udeur) aux côtés du ministre des Affaires étrangères
Gianfranco Fini et de l'ancien Premier ministre Giuliano
Amato. Par solidarité, la foule l'accueille avec des pancartes
portant l'inscription : « Nous sommes tous des métis ! » Dans
la chaleur de la kermesse, Clemente Mastella, président de
l'Udeur, exprime le souhait de voir Afef se présenter sous les
couleurs de son parti aux élections de 2006. Elle répond : «
Ce serait une bonne idée. » Et lorsqu'un autre dirigeant
ajoute qu'il la verrait bien présidente du Sénat, elle reprend
le fameux mot de Pera en disant : « Pourquoi pas ? Le
Parlement deviendrait ainsi métis. »
Le lendemain, la presse titre « Afef entre en politique »
ou « Afef contre Fallaci ». Après le coup médiatique de
l'Udeur, les dirigeants des autres partis politiques du pays
appellent Afef pour lui proposer de se présenter sur leurs
listes. Opportuniste, le Premier ministre Berlusconi lui
téléphone personnellement. : « Il m'a dit : "Je suis d'accord
avec ce que vous faites. J'ai beaucoup d'admiration pour votre
intelligence. Demain, je reçois le Premier ministre turc Recep
Tayyip Erdogan. J'aimerais vous présenter et vous demander ce
qu'on pourrait faire avec le monde arabe". »
Le lendemain, 2 septembre, Afef arrive à bord de son Alfa
Romeo bleue au palais Chigi où elle prend le petit déjeuner
avec Berlusconi et Erdogan. La presse y voit la confirmation
de son engagement aux côtés du chef du gouvernement.
En fait, pour le moment, elle se contente d'être la «
conseillère technique » de plusieurs partis politiques, à
gauche comme à droite. « Allez-vous entrer pour de bon en
politique ? lui avons-nous demandé. Pas maintenant, on verra
l'évolution de la situation en Italie, répond Afef. Ce qui est
sûr, c'est que je ne ferai rien sans l'autorisation de mon
mari. » Et elle ajoute malicieusement, comme pour chatouiller
davantage son adversaire, le président du Sénat : « Et si la
politique m'appelle, je suis décidée à rendre le Parlement
métis ! » |