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Fadela Amara, 38 ans, à la tête de la marche des femmes «ni putes ni soumises» contre la violence dans les cités.
Soumission impossible
Par Charlotte ROTMAN

mercredi 26 février 2003

 
 
 


Fadela Amara
EN 7 DATES
1960
Installation des parents Amara à Clermont-Ferrand.
25 avril 1964
Naissance à Clermont.
29 octobre 1978
Mort de son frère Malik.
1986
Entrée
à SOS Racisme.
Novembre 1989
Création de la Maison des potes
à Clermont.
2000
Installation à Paris, pour prendre
la tête de la Fédération des maisons des potes.
1er février 2003
Début de la marche des femmes
«Ni putes ni soumises».
 

 

 

our la photo, elle se tient droite, emmitouflée dans un anorak, le visage lisse, le chignon défait. Sans fard. Sa dernière séance, c'était pour un magazine féminin. Ils avaient lissé ses cheveux, l'avaient maquillée. Elle : «Pas trop : je n'ai pas l'habitude.» Au final, sur le papier glacé, la fille au brushing flamboyant et aux lèvres fuchsia ne lui ressemble pas. Depuis, ses amis la taquinent, l'appellent «geisha Amara» et lui font des fausses propositions de mariage. Elle en sourit.

Elle reçoit dans un appartement impeccablement rangé. Au vingtième étage d'un immeuble du XIXe arrondissement parisien, dont la vue lui donne le vertige. On sent qu'elle y passe peu de temps. Elle y habite depuis qu'elle est montée à Paris, en 2000, pour prendre la tête de la Fédération nationale des maisons des potes, réseau associatif créé dans le sillage de SOS Racisme. Il n'y a toujours pas son nom à l'interphone. Autour d'un thé à la menthe, elle est prête à défendre pendant des heures la marche des femmes en colère contre le machisme et la violence qu'elles subissent dans des quartiers ghettos, à expliquer cette révolte des «Ni putes ni soumises» dont elle est l'initiatrice. Mais rougit légèrement dès qu'on aborde ses histoires à elle.

Fadela Amara est la fille d'une cité de Clermont-Ferrand. Dans ce quartier «aux murs délabrés, où tout transpirait la pauvreté», les adolescents aidaient les vieilles à porter leurs courses, et tout le monde rappliquait quand le malheur frappait une famille. Elle en garde un souvenir «plutôt ensoleillé». Filles et garçons se côtoyaient au vu et au su de tous, même s'ils se fréquentaient en cachette. Les filles pouvaient sortir, se maquiller, s'habiller en jupe courte et talons hauts, à la mode des années 80. Aujourd'hui, les minijupes ont disparu, remplacées par d'informes joggings. La mixité est aux orties. «C'est fini.» Fadela Amara a repéré les dégâts en bas de chez elle. «Des filles me disaient : "Mon frère ne veut pas que j'aille en boîte", ou "Je n'ai pas le droit d'aller en fac à Toulouse", et elles s'inclinaient. Quand elles discutaient entre elles et qu'on leur disait de rentrer, elles obéissaient. A 17 ans, elles acceptaient des mariages arrangés.» Il a fallu de nouveau exhiber le drap maculé de sang, le lendemain des noces. «Les traditions archaïques sont revenues.» Constat particulièrement cruel puisque, comme beaucoup d'autres femmes nées dans les années 1960 de parents immigrés, Fadela était partie à la conquête de sa liberté. Et, sans jamais rompre avec sa famille, l'avait finalement arrachée.

A la maison, l'émancipation n'était pas au programme. Les quatre soeurs et les six frères de cette famille kabyle n'étaient pas élevés de la même manière. Le père, «fier, autoritaire, honnête, austère», bref «montagnard», était ouvrier en bâtiment. La mère, «possessive, chaleureuse, accueillante, méditerranéenne», femme au foyer. Un partage des rôles qui correspond au canevas traditionnel. A 12 ans, Fadela assenait pourtant à son père : «Les hommes et les femmes sont égaux.» Lui : «Oui. L'homme dehors, la femme à la maison.» Pour les horaires, les sorties, filles et garçons n'avaient pas les mêmes droits. «Il fallait faire attention au qu'en-dira-t-on», se souvient Fadela. Zouina, sa mère, «un peu casque bleu», négociait pour qu'elle puisse aller au cinéma et à la danse. A l'école, on la renvoyait à son statut d'immigrée. «L'institutrice a demandé un jour qui était enfant d'étrangers. Les petits Mohamed levaient la main. Pas moi, j'étais française. Elle m'a désignée : "Toi aussi, Fadela."» Chez ses parents, il y a toujours des photos du bled au mur. On y parle kabyle. Son père pratique «un français fracassé». «Je n'ai jamais vécu ça comme un handicap. Au contraire : on parlait une langue à la maison, une autre dehors.»

«Grande gueule», à l'affût du monde, Fadela aurait aimé faire des études de lettres. Elle est orientée vers un CAP d'employée de bureau. Puis elle enquille tous les dispositifs publics d'aide à l'emploi. Pendant ces années au pain sec, elle milite sans relâche.

Dès 16 ans, quand la mairie veut raser son quartier, elle fait du porte-à-porte pour en obtenir la réhabilitation. Elle crée une association de femmes, alors qu'elle n'est pas encore majeure. Participe aux grands mouvements antiracistes (marche des beurs en 1983, SOS Racisme). Puis elle enclenche ce mouvement «Ni putes ni soumises» qui défend les femmes des quartiers sans s'étiqueter «féministe». C'est elle qui organise des états généraux à la Sorbonne en janvier 2002, rédige une pétition qui compte 20 000 signataires à ce jour, et met en place un tour de France qui s'achèvera à Paris le 8 mars. Convaincue que l'action politique paye, elle qui vote depuis ses 18 ans (elle refuse de dire comment) a rencontré des ministres, des responsables de droite et de gauche. «Tu sors d'une cité, tu n'as pas de diplôme, tu es reçue par des gens importants, ça fait quand même quelque chose.»

Ce tempérament «atypique» qu'elle revendique, elle le garde de l'enfance. Petite, elle était solitaire dans une famille nombreuse, cultivait des goûts bien à elle, rêvant de devenir danseuse étoile, adorant Maurice Béjart. Elle était la seule à regarder le journal télévisé avec son père, avide de nouvelles de Cuba ou du Proche-Orient. Ses parents sont analphabètes, elle dévorait les classiques à la bougie. Quand on la cherchait, sa mère répétait : «Fadela a les yeux dans les mots.» Aujourd'hui, quelques livres traînent chez elle : Tigre en papier d'Olivier Rolin, de la poésie arabe. Six caisses de bouquins l'attendent encore à Clermont. Elle cite Yourcenar, Duras... des femmes, encore. Elle préfère l'opéra (Puccini et la Callas) au rap. Elle vénère Meryl Streep et Nathalie Baye. Elle se réjouit dans les guinguettes, se reconnaît dans «la France des petits villages» plus qu'elle ne se nourrit de la (contre) culture de banlieue.

Elle a trouvé sa place, s'est affranchie peu à peu. «En militant, j'ai gagné ma liberté.» Elle a même réussi à inverser le schéma familial. A 21 ans, elle s'est mise à travailler, tandis que son frère, sans boulot, restait à la maison. De quoi faire réfléchir le patriarche. «J'ai gagné ainsi le droit de choisir comment je vis.» D'être musulmane pratiquante et militante «attachée à la laïcité et la démocratie à la française». De parler sur la place publique de sexualité, alors que cela reste tabou au sein de sa famille. De se laisser absorber par le militantisme. D'avoir un jules dans sa vie ­ même si elle ne veut pas en parler ­ dont on devine la présence à une cravate qui traîne, à un appel un peu insistant où il est question d'une vaisselle pas faite. Et à qui elle jure, un peu de mauvaise foi : «Non, il n'y en a pas que pour les journalistes», avant de raccrocher, avec un sourire taquin.

photo DJAMEL DINE ZITOUT

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