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Entreprises de mercenaires un site étonnant, qui recense, décrit et critique les entreprises qui vendent des "services militaires" (en anglais)

CorpWatch un site de surveillance des entreprises, qui montre que le vice-président des Etats-Unis Dick Cheney a des liens avec Brown et Root, une entreprise de mercenaires

MPRI une entreprise de mercenaires



ETATS-UNIS
L’ultralibéralisme appliqué à la guerre

L’externalisation est devenue l’une des manies des grandes entreprises. Même l’armée américaine s’y met et sous-traite des tâches à des “entreprises militaires privées”. Ce secteur de services pèse déjà 100 milliards de dollars. Le “Financial Times” a enquêté.

Sandline International, entreprise de mercenaires (DR)

“Ils se tiennent devant le palais présidentiel à Kaboul, en Afghanistan. Cheveux coupés en brosse, lunettes de soleil profilées, pistolet à la ceinture, ils ressemblent comme deux gouttes d’eau aux soldats des forces spéciales américaines qui gardaient jusqu’à récemment l’entrée de la présidence afghane.” Mais, assure le “Financial Times”, “ce sont des employés de DynCorp, une entreprise de Virginie engagée par le ministère des Affaires étrangères américain pour défendre les chefs afghans contre les tentatives d’assassinat”.

DynCorp est présente à Kaboul, mais aussi en Colombie et en Irak. Cette “entreprise militaire privée” mène des centaines de missions à travers le monde. DynCorp, mais aussi Kroll, Vinnell Corp, Kellogg, Brown & Root, Executive Outcomes, Sandline International ou MPRI sont américaines, anglaises ou sud-africaines et louent leurs services aux quatre coins de la planète à différents Etats, de la Croatie à l’Arabie Saoudite, en passant par les Etats-Unis.

Selon le “Financial Times”, qui vient de publier une vaste enquête en deux volets sur ces mercenaires du XXIe siècle, “ces entreprises sont engagées pour des tâches relativement courantes, comme la construction et la garde de campements militaires ou le transport de troupes, mais aussi pour des tâches plus sophistiquées. Il s’agit dans ce cas de conseil stratégique, de mise en place de chaînes logistiques sur le terrain, de formation militaire ou de service de veille et d’espionnage. Enfin, quelques sociétés, une minorité, sont requises pour mener des combats.” Le plus souvent, les personnels de ces “entreprises militaires privées” sont d’anciens soldats de l’armée américaine ou d’autres armées.

Externalisation = réduction des coûts

Cela ressemble pour le “FT” à “une privatisation rampante des affaires de la guerre. Pendant la première guerre d’Irak, une personne travaillant pour l’armée américaine sur cinquante était engagée par une firme privée. Pour la dernière guerre, une sur dix travaillait pour un sous-traitant du Pentagone. Au dernier décompte, 700 000 salariés de sociétés privées travaillaient de par le monde pour l’armée américaine”, explique le quotidien économique londonien.

Et, de fait, pour certains observateurs, “cet accroissement sans cesse plus important des firmes privées dans les questions de sécurité remet en cause le monopole étatique de l’utilisation légitime de la force”. En effet, il faut rappeler que les Etats se sont construits du XVIIe au XIXe siècle en interdisant les armées privées et en créant des armées nationales. Ces armées, grâce à la conscription, ont eu un rôle d’intégration et de construction identitaire des nations.

Pour d’autres observateurs, moins attachés aux pouvoirs régaliens, ce n’est qu’un business de plus qui pèse 100 milliards de dollars annuellement. Comme pour la plupart des tâches, il ne s’agit pas de combat pur : beaucoup d’analystes expliquent que les armées se concentrent sur leur travail de base, le combat, et externalisent les services périphériques, comme les transports de troupe, voire les questions de logistique.

En réalité, il s’agit d’appliquer les préceptes néolibéraux à l’armée et au traitement de la guerre. Dans les années 70, l’armée américaine comptait 1,5 million de GI ; aujourd’hui, après diverses restructurations, elle n’en compte plus que 750 000. L’Etat va chercher sur le marché des services produits à moindre coût - “jusqu’à quinze fois moins cher que si l’armée américaine assurait ces tâches”, précise le “FT”.

Rupture de contrat en pleine bataille

L’armée américaine a d’autant plus recours au privé qu’elle est présente sur des théâtres d’opération de plus en plus nombreux. Selon un analyste cité par le “FT”, “une ‘légion étrangère’ privée permet à l’US Army de combler ses manques en personnel tout en remplissant les engagements pris par Washington”.

Un autre avantage apporté par les entreprises privées est politique. Pour une question d’image, le gouvernement américain se refuse à engager en masse des soldats pour mener la guerre contre les narcotrafiquants en Colombie. En recourant à DynCorp, l’armée américaine sous-traite ses opérations d’épandage de produits toxiques sur les champs de coca, ses opérations de secours, voire de chasse aux barons de la drogue. De même, pour le Kosovo, l’armée américaine a toujours refusé d’envoyer ses troupes ; elle a donc engagé DynCorp.

Mais recourir au privé présente tout de même pas mal d’inconvénients dans les affaires de la guerre. “Les entreprises contractantes ne sont pas soumises à la discipline militaire. Par conséquent, une entreprise peut rompre un contrat quand elle le veut, même en pleine guerre. Le seul recours possible de l’armée est de poursuivre l’entreprise devant les tribunaux pour rupture de contrat — la dernière chose qui vient à l’esprit d’un général en plein combat…”

Un vide juridique

Pis, le recours systématique à des entreprises pour mener des opérations de guerre ou assimilées est “moralement très douteux”, estime le “FT”. En effet, quel droit doit-on appliquer à ces entreprises ? Dans les Balkans, au milieu des années 90, plusieurs employés de DynCorp s’étaient retrouvés mêlés à des affaires de racket et de trafic d’adolescentes. L’employé de DynCorp qui a dénoncé les malversations a été viré et les hommes mis en cause ont été renvoyés dans leurs foyers. Aucun n’a comparu devant un tribunal.

A ces dérives s’ajoute le vide juridique qui entoure l’activité des “entreprises militaires privées”. “Selon un expert spécialisé dans la loi américaine régissant les contrats Etat-entreprise, le gouvernement n’a toujours pas clarifié les points clés concernant les salariés travaillant près d’un champ de bataille. A qui un salarié d’un sous-traitant de l’armée doit-il rendre compte ? Que se passe-t-il s’il décide que le lieu est trop dangereux pour travailler ? Peut-il porter une arme ? Qui est responsable s’il est tué ou blessé ? Quels sont ses droits s’il est arrêté par l’ennemi ? Quelle est sa responsabilité s’il tue ou blesse des civils de manière intentionnelle ou par accident ?” Ces questions restent sans réponse. Et l’expert de conclure : “Il est tout de même choquant de savoir que, alors que 700 000 personnes assurent un travail militaire sans avoir le statut de soldats, le gouvernement américain n’a toujours pas édicté de règle !”

Philippe Jacqué
© Courrierinternational.com

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